Observatoire PhosphoBio : ces éléments jouent sur la fertilité en phosphore des sols
Après avoir présenté les facteurs qui n’ont pas d’influence sur la fertilité en phosphore des sols en agriculture biologique, ce second article s’intéresse au contraire à ceux qui en ont. Ces conclusions sont issues de l’observatoire PhosphoBio.
Comme démontré dans un précédent article, la date de conversion en agriculture biologique (AB), la présence d’élevage, et le type d’occupation du sol (grandes cultures ou prairies permanentes) ont peu d’impact sur la teneur en phosphore des sols. Cette dernière n’est pas non plus corrélée à la teneur en matière organique (MO) du sol. En revanche, on constate des disparités en fonction de la localisation géographique des parcelles.
Les teneurs en phosphore de l’observatoire PhosphoBio comparées à celles de la BDAT*
Les teneurs en phosphore (ou teneur en P Olsen) sont en moyenne inférieures dans le Sud-Ouest (36 ppm de P2O5) comparées aux autres territoires de l’observatoire PhosphoBio (tableau 1).
Ces données, collectées en 2021 au sein des parcelles de l’observatoire PhosphoBio, ont été comparées à la moyenne des teneurs en phosphore des petites régions agricoles correspondant aux parcelles de l’observatoire dans la BDAT* (sur la période 2010-2014). Les teneurs des parcelles de l’Observatoire PhosphoBio sont, en moyenne, inférieures à celles de la BDAT (de -20 à -28 ppm de P2O5 selon les territoires). Comme les données les plus récentes de la BDAT n’étaient pas disponibles, il n’a pas été possible de réaliser la comparaison sur la même période. Il est donc difficile de conclure de manière catégorique.
* La BDAT (base de données des analyses de terre) regroupe les résultats d’analyses de terre des principaux laboratoires de France métropolitaine. Les données étant anonymisées, il n’est pas possible d’identifier l’origine de ces analyses qui proviennent aussi bien de parcelles conduites en AB qu’en conventionnel.
Cet écart peut donc aussi bien indiquer que les teneurs en P Olsen des parcelles en AB sont en moyenne inférieures à celles des parcelles en conventionnel, que montrer que les teneurs en P Olsen des sols ont tendance, aussi bien en AB qu’en conventionnel, à fortement diminuer entre la période 2010-2014 et 2021. En réalité, il est possible que ces deux suppositions soient valables, et expliquent chacune en partie l’écart observé.
On observe également que les teneurs en P Olsen des parcelles en sols calcaires sont plus faibles que celles des autres parcelles (figure 1). Cela pourrait s’expliquer par un pouvoir tampon ou des phénomènes de rétrogradation du phosphore plus marqués dans ces sols.
Des conclusions approfondies par l’examen des bilans de phosphore
L’examen des bilans de phosphore (« Fertilisation – Exportations par les récoltes ») sur 179 parcelles de l’observatoire PhosphoBio apporte un éclairage complémentaire. On observe une différence significative entre les sols non calcaires, où ces bilans sont en moyenne légèrement positifs (+ 6kg de P2O5/ha/an), et les sols calcaires, dont les bilans sont en moyenne légèrement négatifs (- 6kg de P2O5/ha/an).
De plus, on constate que les quantités moyennes de phosphore exportées par les cultures sont équivalentes entre ces deux types de sol. La différence s’explique principalement par des doses moyennes de phosphore apportées supérieures en sols non calcaires sans que l’on puisse en expliquer précisément les raisons. En revanche, les bilans de phosphore sont équivalents entre territoires et n’expliquent pas pourquoi les teneurs en P2O5 Olsen sont plus faibles dans le Sud-Ouest.
Impact de la fréquence d’apports de fertilisants et de leur nature
De manière assez prévisible, les teneurs en phosphore des parcelles de l’Observatoire PhosphoBio sont d’autant plus élevées que la fréquence d’apport de fertilisants contenant du phosphore sur les cinq dernières années est importante (figure 2).
On remarque toutefois que ce résultat ne se vérifie pas totalement pour les parcelles qui reçoivent des apports tous les ans : leurs teneurs moyennes en P2O5 Olsen sont certes supérieures à celles des parcelles recevant du phosphore au mieux une année sur 5, mais restent inférieures à celles des parcelles recevant du phosphore entre 2 et 4 années sur 5.
Ces résultats sont également à mettre en relation avec la dose de phosphore annuelle moyenne apportée sur les parcelles indiquées sous la figure 2. En effet, celles recevant du phosphore tous les ans ne sont pas celles qui reçoivent systématiquement les doses les plus élevées.
Cela se traduit en termes de bilan de phosphore à la parcelle par un déstockage moyen de -15 kg de P2O5/ha/an dans les situations non fertilisées ou recevant un apport en cinq ans, et un stockage moyen de +24 kg de P2O5/ha/an dans les situations avec apports tous les ans ou quatre années sur cinq. Les situations intermédiaires conduisent en moyenne à un bilan de phosphore proche de l’équilibre.
La nature des fertilisants utilisés influe également sur les bilans de phosphore. Les parcelles qui reçoivent des fientes de volailles ou différents fertilisants phosphatés (le plus souvent des fientes de volailles combinées en alternance soit avec du fumier, soit avec des Protéines Animales Transformées -PAT) présentent, en moyenne, des bilans positifs (figure 3). Les parcelles recevant exclusivement du fumier ou des PAT présentent des bilans légèrement négatifs, mais significativement supérieurs aux parcelles n’ayant pas reçu d’apports de fertilisants au cours des cinq dernières années.
Enfin, la catégorie « autres » regroupe des parcelles fertilisées avec exclusivement des lisiers, des digestat de méthanisation ou des composts végétaux. La nature de ces intrants est trop variable et le nombre de situations concernées trop faible pour conclure de leur effet sur les bilans de P.
Un lien entre couverts végétaux et teneurs en phosphore difficile à établir
Les teneurs moyennes en P Olsen du sol apparaissent significativement plus élevées lorsqu’un couvert d’interculture a été implanté au moins une fois sur les 5 dernières campagnes (figure 4).
Cependant, il est délicat de conclure à un effet des couverts végétaux sur la disponibilité du phosphore. En effet, si les exportations par les récoltes sont en moyenne équivalentes en présence ou non de couverts, les doses de phosphore apportées sont quant à elles légèrement plus élevées dans les situations avec couverts (32 kg P2O5/ha/an vs 26 kg P2O5/ha/an ). Autrement dit, ces teneurs en P Olsen plus élevées en présence de couverts s’expliquent probablement davantage en raison d’apports plus importants sur ces parcelles que par un effet des couverts eux-mêmes.
Impact de la fréquence de légumineuses dans les rotations
Enfin, la teneur en P Olsen du sol apparait inversement corrélée à la fréquence de légumineuses dans les rotations (figure 5). Ceci pourrait s’expliquer par un meilleur état de nutrition azotée de cultures précédées par des légumineuses qui auraient de meilleurs rendements et exporteraient ainsi davantage de phosphore. Cependant, les exportations moyennes de phosphore indiquées sous la figure 5 ne valident pas cette hypothèse : les exportations sont stables voire diminuent lorsque la fréquence de légumineuses augmente.
On observe par ailleurs une diminution simultanée des doses moyennes d’azote et de phosphore apportées en cinq ans sur les parcelles avec l’augmentation de la fréquence de légumineuses. La relation négative que l’on observe entre la fréquence de légumineuses et les teneurs en P Olsen du sol pourrait donc s’expliquer par les pratiques de fertilisation. En effet, dans des systèmes où la fourniture d’azote aux cultures repose principalement sur la fixation symbiotique par les légumineuses, les apports de fertilisants sont probablement moins fréquents. Ce qui pourrait limiter les flux entrants de phosphore et, à terme, entrainer une diminution des teneurs du sol. Cette hypothèse semble être confirmée par les bilans de P qui eux aussi sont corrélés négativement à la fréquence de légumineuses.
Conclusion
En conclusion, il semblerait qu’en AB, les teneurs en P Olsen du sol sont globalement plus faibles qu’en conventionnel. L’analyse des résultats de l’observatoire PhosphoBio montre aussi que certaines situations sont à surveiller de plus près afin de maintenir dans la durée une disponibilité en phosphore satisfaisante pour les cultures. C’est le cas en particulier du Sud-Ouest de la France mais aussi en sols calcaires. Une certaine vigilance devrait également être portée dans les rotations qui intègrent une proportion importante de légumineuses. En effet, dans ces systèmes, la nutrition azotée des autres cultures de la rotation dépend fortement des légumineuses. Si la croissance de ces dernières venait à être limitée par une carence en phosphore, les fournitures d’azote aux autres cultures seraient réduites, et l’autonomie en azote du système pourrait être remise en cause.