Des indices de nutrition pour piloter la fertilisation phospho-potassique des prairies en AB
Des échantillons de végétaux ont été prélevés sur 65 parcelles de l’observatoire PhosphoBio dans l’objectif de calculer des indices de nutrition. Les indices de nutrition phosphatée (INP) et potassique (INK) n’étant opérationnels que sur prairies, nous nous limitons ici à interpréter uniquement les résultats des 13 analyses disponibles sur prairies.
Depuis les années 1980, en partenariat avec plusieurs organismes (institut de l’élevage, ITCF, ACTA, Comifer et Chambres d’agriculture 22, 25, 62, 63, 64, 71 et 76), l’Inrae a mis au point une méthode de diagnostic de nutrition phospho-potassique des prairies. Elle repose sur l’analyse de végétaux sur graminées prairiales. Cette méthode est complémentaire de l’analyse de terre, qui comprend de nombreuses limites sur prairies (caractérisation de la biodisponibilité des éléments chimiques, manque de références pour l’interprétation des teneurs en éléments minéraux du fait de forts gradients de concentration selon la profondeur de prélèvement...). L’analyse d’herbe donne une bonne représentation de l’absorption (insuffisante ou excessive) des éléments chimiques dans la biomasse aérienne, donc de l’aptitude de la prairie à les prélever (provenant du sol ou de la fertilisation). Le résultat de l’analyse permet ensuite de définir une méthode de fertilisation phosphatée ou potassique pour les années suivantes.
Cette méthode a été testée et est utilisable :
- Sur prairies permanentes à flore variée comme sur prairies temporaires implantées depuis au moins 2 ans.
- Sur prairies de graminées et prairies multi-espèces. En cas de présence de plus de 25 % de légumineuses, il faut analyser uniquement les graminées.
- Dans des conditions où la croissance des plantes n’est pas pénalisée par des stress (manque/excès d’eau, température excessive…). Le printemps est une période idéale.
- Pour des biomasses minimales de 1,5 t MS/ha (azote) ou 2 t MS/ha (phosphore et potassium) et idéalement jusqu’à 5 t MS/ha maximum.
- Pour des parcelles non exploitées (absence de pâturage ou de fauche).
Principes de l’indice de nutrition azotée
En conditions non limitantes, la composition des tissus végétaux présente un « équilibre entre les éléments chimiques ». Tout écart reflète donc une absorption insuffisante ou excessive.
La teneur en azote diminue au fur et à mesure que la quantité de biomasse (MS) augmente. On parle de phénomène de dilution.
En conditions non limitantes, la teneur critique en azote, c’est-à-dire la teneur minimum d’azote dans les tissus végétaux qui permet d’atteindre la croissance maximale, est déterminée, pour les graminées prairiales, par l’équation :
Teneur critique en azote = 4,8 × MS-0,32
Le rapport entre la teneur en azote mesurée dans votre analyse et la teneur critique en azote définit ce qu’on appelle un indice de nutrition azotée (INN) :
Source : Salette et Lemaire, 1994, (INRA)
Pour un niveau de biomasse donné, le rapport entre la teneur en azote mesurée et la teneur critique permet de déterminer l’indice de nutrition azotée (INN). Ainsi, si la teneur en azote issue d’une analyse de végétaux est inférieure à la teneur critique (teneur en azote de l’analyse située en dessous de la courbe de la figure 1), l’INN est inférieur à 1 et la production d’herbe est probablement limitée par une carence en azote.
Figure 1 : Teneur en azote en fonction de la matière sèche à floraison des 13 prairies de l'observatoire
Cet indice permet de poser un diagnostic sur l’état de nutrition azotée de votre prairie :
- Un INN supérieur à 100 indique une nutrition azotée excédentaire par rapport au potentiel de production de biomasse
- un INN inférieur à 100 indique une nutrition azotée insuffisante pour atteindre le potentiel de production de biomasse
Les indices de nutrition azotée mesurés en 2022
L’analyse des résultats de la campagne de prélèvements de végétaux 2022 de l’observatoire PhosphoBio indique que toutes les parcelles présentent un INN inférieur à 100, et même, à l’exception d’une d’entre elles, un INN inférieur à 80 (tableau 1). Ces prairies ne disposent donc pas d’un niveau de nutrition azotée suffisant pour exprimer pleinement leur potentiel et sont donc en situation d’azote limitant. Cas fréquemment observé dans les parcelles conduites en agriculture biologique.
Tableau 1 : Valeurs des indices de nutrition azotée (INN) sur les prairies de l’observatoire Phosphobio en 2022
Notion de teneurs critiques en phosphore et potassium des graminées prairiales
Le phénomène de dilution décrit pour l’azote existe également pour d’autres éléments tels que le phosphore et le potassium. Toutefois, les teneurs de ces deux éléments dépendent fortement des concentrations en azote assimilé par la plante. Autrement dit, si l’azote devient limitant pour la croissance des végétaux, l’assimilation des autres éléments chimiques s’en trouvera également limitée.
Des relations ont été établies par l’INRAE entre les teneurs en azote (%N) et celles en phosphore (%P) et potassium (%K) sur graminées de prairies :
Teneur critique en P = 0,15 + 0,065 * %N
Teneur critique en K = 1,6 + 0,525 * %N
Source : Salette et Huché, 1991, (INRA)
Les teneurs en P et K des graminées prélevées dans les parcelles de prairie de l’observatoire PhosphoBio échantillonnées au cours de la campagne 2022, ont été positionnées sur les figures 2a et 2b qui représentent respectivement les teneurs critiques des graminées prairiales en P et en K en fonction de leur teneur en N.
Figure 2 : Teneur en P (2a) et en K (2b) en fonction de la teneur en N à épiaison
On remarque que 8 parcelles sur 13 présentent une teneur en P inférieure à la teneur critique (point se situant en dessous de la droite de la figure 2a, correspondant à la relation établie par l’INRAE pour le phosphore). De même, 7 parcelles sur 13 présentent une teneur inférieure à la teneur critique pour le potassium. Cependant, dans la plupart des cas, les teneurs en P et en K restent assez proches de la teneur critique.
Calcul d’indice de nutrition phospho-potassique sur prairies
Comme pour l’azote, des indices de nutrition en phosphore (INP) et en potassium (INK) ont été développés par l’INRAE. L’INP et l’INK représentent l’écart à une situation de nutrition P et K satisfaisante pour un niveau de nutrition azotée donné, qui se calculent en opérant le rapport entre la teneur en P ou K mesurée dans votre parcelle et la teneur critique en P ou K :
Source : Duru et Thélier-Huché, 1997, (INRA)
Des référentiels d’interprétation assortis de préconisations ont été proposés pour ces deux indices :
Figure 3 : Graphique d'interprétation des indices de nutrition P et K
(source : Chambre d’Agriculture des Pays de la Loire)
Les résultats d’indices de nutrition phosphatée et potassique pour les 13 parcelles en prairies de l’observatoire échantillonnées lors de la campagne de prélèvements de végétaux indiquent des teneurs en phosphore et en potassium satisfaisantes à excédentaires pour 12 d’entre elles (tableaux 2 et 3). Aucun apport spécifique en P ou K n’est donc conseillé sur ces parcelles. Ce résultat est cohérent avec les faibles teneurs en azote décrites ci-dessus. La croissance des graminées étant d’abord limitée par la disponibilité en azote, le phosphore et le potassium apparaissent dans ces situations comme non limitants voire excédentaires pour les graminées.
La parcelle de prairie temporaire dont la valeur d’INP est comprise entre 60 et 80, niveau jugé insuffisant, présente très probablement une carence en phosphore pouvant avoir un effet négatif sur son rendement.
Tableau 2 : Valeurs des indices de nutrition phosphatée des parcelles en prairies de l'observatoire PhosphoBio en 2022 ayant participées à la campagne de végétaux
Les résultats d’indice de nutrition potassique sont comparables aux résultats d’INP (tableau 3). Une parcelle de prairie permanente présente une teneur en potassium limitante, ce qui pénalise probablement son rendement.
Tableau 3 : Valeurs des indices de nutrition potassique des parcelles en prairies de l'observatoire PhosphoBio en 2022 ayant participées à la campagne de végétaux
Ce qu’il faut retenir !
Les 13 parcelles suivies se trouvent dans des situations d’azote limitant. Ces situations, couramment observées en agriculture biologique, induisent souvent des teneurs en phosphore et potassium suffisantes au développement des graminées de prairies.
Pour mettre en œuvre cette méthode de diagnostic mobilisant les indices de nutrition, il est recommandé de réaliser une analyse tous les 3 ans si le dernier diagnostic a entrainé un apport de fertilisant et environ tous les 5 ans sinon*.
Si l’INN est déjà largement utilisé pour le pilotage de l’azote du blé en agriculture conventionnelle, en revanche, l’INP et l’INK ne sont couramment utilisés que sur prairies permanentes et prairies temporaires de plus de deux ans. Toutefois, en situations d’azote limitant, ces indicateurs pourraient également avoir un intérêt en grandes cultures. Des références pour développer l’utilisation de l’INP en agriculture biologique sont en cours d’acquisition au travers du projet PhosphoBio pour le blé, le soja et la luzerne.
*Pour plus de détails, consultez la brochure du COMIFER « l’analyse d’herbe : un outil pour le pilotage de la fertilisation phosphatée et potassique des prairies naturelles et temporaires »