Du blé dur aux pâtes : une histoire très récente en France
Les pâtes, c’est simplement du blé dur et de l’eau. Mais connaissez-vous vraiment l’histoire de cette culture en France ?
Jusqu’au début des années 50, même si on fabriquait des pâtes en France, on importait tout le blé dur. Après la guerre, les fabricants de pâtes ont encouragé la production de blé dur sur le sol français. Les premières variétés n’étaient pas adaptées à notre climat et il était difficile voire impossible de les transformer en pâtes.
En 1983, chercheurs, sélectionneurs, agriculteurs, coopératives, négoces et transformateurs se sont réunis pour créer la filière blé dur française.
Les origines du blé dur
Le blé dur, un des parents du blé tendre
Tout commence sur les flancs du volcan Karaca Dag, dans le sud-est de la Turquie où les ancêtres des blés se sont développés. Une première hybridation naturelle a donné un blé tétraploïde (2 jeux de 7 paires de chromosomes ou génomes A et B) au grain vêtu.
Le blé dur, proche de celui que nous connaissons aujourd’hui, est apparu environ 7000 ans avant Jésus-Christ, suite à une mutation donnant un blé à grain nu. Il est un des parents possibles du blé tendre (3 jeux de 7 paires de chromosomes – les génomes A, B et D). Le génome D, absent chez le blé dur, a apporté au blé tendre une adaptation aux régions à hiver froid et été humide. Le blé dur a ainsi colonisé les régions méditerranéennes pendant que le blé tendre s’étendait en Europe continentale et en Asie centrale.
Le blé dur est arrivé en France environ 5000 ans avant J.-C.
Des premières pâtes au couscous
Les premières traces de pâtes remontent à – 2000 ans en Chine et – 1700 ans en Mésopotamie. Dans l’Antiquité, les pâtes, à base de blé tendre, sont un plat courant ; ce sont des pâtes fraîches, plates, cuites sur une pierre, dans un four, dans un bouillon ou frites.
On doit probablement les pâtes sèches, et le couscous, faciles à conserver et à transporter, aux nomades arabes. Les premiers écrits les mentionnant remontent au Ve siècle en Palestine. Vers 800, la conquête arabe de la Sicile les aurait introduites en Europe.
C’est à partir de là que se développe en Italie du Sud la fabrication de pâtes, malaxées avec les pieds (maccaruni en sicilien), pressées dans des filières puis séchées au soleil.
Au XIIe siècle, la production artisanale de pâtes sèches et leur commerce sont attestés. Les pâtes sèches sont connues sur tout le pourtour méditerranéen, dans le nord de la France, en Allemagne… ; elles figurent dans les livres de cuisine.
Au XIVe siècle, leur fabrication se développe tellement que les fabricants créent des corporations et édictent des règles ; les formes de pâtes, les noms, les recettes se multiplient.
Au XVIe siècle, les pâtes faites à base de semoule sont jugées plus qualitatives que celles faites à base de farine ; leur prix est plus élevé. Les premières machines appliquant une pression élevée apparaissent à Naples ; elles donnent des pâtes lisses et résistantes à la cuisson. Le blé dur s’impose alors comme la matière première de ce début de production réellement industrielle.
C’est à la fin du XIXe siècle, avec la révolution industrielle, qu’apparaissent les presses hydrauliques et les séchoirs. Et c’est avec l’immigration italienne, en Europe et en Amérique, que les pâtes conquièrent le monde.
Ainsi, si la pâte, en tant que mélange de farine et d’eau, a probablement des origines multiples, les pâtes de blé dur telles qu’on les connaît aujourd’hui, pressées ou filées, séchées, et résistantes à la cuisson, sont issues de l’histoire italienne.
Une culture très récente en France
Au sortir de la seconde guerre mondiale, on ne cultive pas de blé dur en France. Les 200 000 t triturées sont importées du Canada, d'Argentine, ou du Maghreb.
Sous l’impulsion de l’industrie, des tests de culture sont réalisés en 1949, et un différentiel de prix avec le blé tendre (+ 25 à 30 %) est fixé par l’Etat en 1954.
Les variétés cultivées, originaires d’Afrique du Nord (Bidi 17), sont sensibles à la verse, au froid et beaucoup moins productives que le blé tendre. La culture démarre donc dans le sud-est de la France, s’étend vers le Sud-Ouest et un peu dans le Centre en culture de printemps.
C’est d’abord l’innovation variétale qui va faire progresser la culture : sélection à l’Inra de Montpellier pour le Sud (avec les variétés Montferrier, Agathé) et introduction de variétés nord-américaines pour le Nord (Lakota, Wells).
La sélection de variétés à paille courte mais de mauvaise qualité pastière (Durtal, Tomclair) provoquera, après une brève envolée des surfaces, une crise dans la filière qui placera la qualité au centre des objectifs de la sélection. Les premières variétés réunissant bonne qualité, rendement et tolérances agronomiques sont inscrites en 1982 (Arcour, Capdur)… La filière française du blé dur est lancée.
Ce sont alors les réformes de la Politique Agricole Commune et le rapport de prix blé dur/blé tendre qui dessineront les contours de la filière :
- 1985 : le blé dur est la seule céréale qui ne voit pas son prix d’intervention diminuer ; les surfaces s’envolent.
- 1992 : l’aide à la production est remplacée par une aide à l’hectare, mais réservée aux zones traditionnelles du Sud ; le Nord perd 80 % de ses surfaces.
- 2004 : l’écart de prix avec le blé tendre et l’arrivée de variétés de bonne qualité résistantes au froid (Biensur, Karur) relancent l’intérêt de la culture ; le Nord double ses surfaces.
- 2010 : les aides aux grandes cultures baissent et sont quasi complètement découplées ; le Sud perd un tiers de ses surfaces.
Ces fortes variations de surface sont typiques de la filière blé dur : filière assez petite et à débouché exclusif en alimentation humaine. Ces variations fragilisent la filière à tous les niveaux.
La filière blé dur française aujourd’hui
Aujourd’hui, le blé dur reste concentré dans les quatre bassins où il s’est installé entre 1955 et 1975 (figure 1). Depuis 30 ans, la production est supérieure aux utilisations intérieures et la France a pris une place sur le marché de l’export, avec l’Italie comme premier client.
La quasi-totalité des pâtes sèches et du couscous est produite par des industries très concentrées qui utilisent à 85 % du blé dur français. A côté, des entreprises de taille moyenne, généralement encore familiales, produisent des spécialités comme les pâtes d’Alsace aux œufs, du couscous, du boulghour…
La consommation française par habitant et par an est de 8 kg de pâtes et 1,5 kg de couscous, soit environ 500 000 t de pâtes/an et 95 000 t de couscous/an.
Chercheurs, sélectionneurs, agriculteurs, coopératives, négoces et transformateurs se réunissent régulièrement pour faire avancer la filière blé dur française.
Depuis plus de trente ans, dans chaque plat de pâte, il y a le travail de toute une filière !
Figure 1 : La filière française de blé dur en 2017 (bassins de production et industries de transformation)
Pour en savoir plus, consultez le guide de culture du blé dur, disponible sur le site des Editions d’ARVALIS.
Retrouvez les acteurs de la filière blé dur le 6 février 2025 à Aix-en-Provence (13) lors du colloque annuel organisé par ARVALIS.
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