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Bretagne

Récolte 2024 de blé tendre : quelques éléments d’explications sur la baisse de rendement

Selon les résultats de récolte, les rendements de blé tendre ont diminué par rapport aux précédentes années dans notre région. Une baisse qui peut être liée à la météo capricieuse survenue dès les semis, notamment les pluies excédentaires enregistrées sur la majorité de la campagne jusqu’en fin de cycle. Les suivis physiologiques conduits par ARVALIS et les essais variétaux apportent quelques clés de précisions sur l’ensemble des causes.

Un homme frotte un épi dans ses mains pour vérifier la maturité des grains

Le réseau d’essais variétés blé tendre 2024 (9 sites en Bretagne) est conduit par ARVALIS en partenariat avec Agritech Service, la Chambre d’agriculture de Bretagne, Eureden, Garun Paysanne et Le Gouessant. Il montre un rendement moyen en microparcelle de 102 q/ha. En comparant les sites très proches entre années avec des types de sols similaires, le rendement 2024 est en baisse de 11 % par rapport à 2023.

Un automne et un hiver pluvieux à l’ouest

Les pluies fréquentes et importantes depuis début novembre ont retardé les chantiers de semis, avec des chantiers qui se sont étalés jusqu’en janvier. Les excès d’eau ont été très marqués à l’ouest de la région, avec des cumuls supérieurs de +20 à +30 % par rapport à la médiane.

Carte 1 : Sommes de pluie du 1er novembre 2023 au 13 février 2024

Carte 1 : Sommes de pluie du 1er novembre 2023 au 13 février 2024

Carte 2 : Somme de pluie du 1er novembre 2023 au 13 février 2024 en % de la médiane 2000-2022

Carte 2 : Somme de pluie du 1er novembre 2023 au 13 février 2024 en % de la médiane 2000-2022

Le début de campagne se caractérise également par une extrême douceur sur l’ensemble du territoire, avec des cumuls excédentaires de +9 % à +17 %. Toutes les périodes de semis ont bénéficié de cet excédent thermique.

Dès l’automne, le potentiel de rendement du blé tendre était atteint, du fait de problèmes de tassement liés aux chantiers conduits en mauvaises conditions, affectant ainsi l’implantation racinaire et la capacité de la plante à s’alimenter correctement tout au long du cycle.

Le deuxième fait marquant de l’automne : la difficulté à positionner les interventions herbicides, engendrant de mauvaises efficacités et donc, le développement important de la flore, en particulier le ray-grass. Malgré les températures douces, les dégâts de pucerons d’automne sont restés discrets.

Un début de montaison très humide

Les mois se suivent et se ressemblent : mars a été très pluvieux sur l’ensemble de la région, avec des pluies deux fois plus abondantes sur l’ouest (Finistère) et le sud (Morbihan et sud Ille-et-Vilaine). Le nord-est a été davantage épargné par ces excès. La douceur persiste, avec une arrivée du stade épi 1 cm en avance de 10 à 15 jours.

Au début du printemps, les effets de ce début de campagne humide sont visibles dans les parcelles avec de nombreuses situations présentant des problèmes d’hydromorphie. Dans ce cas, les blés présentent un tallage moindre.

Une densité d’épis dans la moyenne à légèrement déficitaire

Sur les neuf sites d’essais variétaux en Bretagne, le suivi des composantes sur cinq variétés (Kws Extase, Chevignon, Celebrity, Intensity, Lg Audace) montre un nombre d’épis/m² en baisse de -5 % par rapport à la moyenne pluriannuelle (toutes variétés) et de -3 % par rapport aux résultats des cinq variétés les années passées.

Toutefois, on observe une forte variabilité entre essais, que l’on retrouve également en campagne. Certains essais perdent en moyenne -15 % d’épis/m², par exemple à Rohan (56) sur sol lourd, tandis que d’autres sont dans la moyenne ou au-dessus, comme à Ploërmel (56) - +12 % - ou Troguery (22), - +3 % sur des secteurs moins arrosés et/ou des sols plus filtrants -.

Une très mauvaise alimentation en azote pour les stratégies en deux ou trois apports

Les apports d’azote au printemps ont été bien valorisés, avec des pluies récurrentes permettant de solubiliser l’azote. Toutefois, à la fin de la montaison, les outils de pilotage indiquent des doses supérieures à la mise en réserve dans la majorité des situations.

Les mesures terrains sur le site de Ploërmel (56) de cinq parcelles agriculteurs dans l’ouest de l’Ille-et-Vilaine et d’un essai dans le centre Bretagne confirment les résultats des outils satellites : les indices de nutrition azotée (INN) sont bas à très bas à la floraison, pour des stratégies de pilotage de l’azote classique en trois apports, sans déplafonnement du dernier épandage. Les INN sont autour de 0,6-0,7 à floraison, contre un objectif visé d’au moins 0,9.

Pour atteindre l’objectif de rendement cette année, les meilleures stratégies azotées étaient basées sur quatre apports, avec le dernier déplafonné de 40 à 60 unités d’azote permettent d’atteindre 0,85 à 0,9 d’INN.

Sur un essai, à la récolte, on mesure un écart de 10 q/ha et +0,8 % de protéines entre une stratégie en trois apports (167 unités) vs quatre apports (230 unités) en faveur de cette dernière [source : essai ARVALIS-Eureden à Trebrivan (22)].

Tout comme les orges, les blés ont eu des difficultés à absorber de l’azote à partir de 2 nœuds en raison d’un système racinaire sous l’eau, perturbant le métabolisme azoté de la plante. Pendant ce temps, la plante a continué de produire de la biomasse, en ayant un niveau à floraison dans la moyenne, le métabolisme carboné étant moins impacté par l’excès d’eau racinaire. De ce fait, cela dilue le peu d’azote présent dans la plante et fait chuter les INN. Les apports d’azote conséquents en fin de montaison sur des sols moins saturés en eau ont permis de corriger partiellement ce défaut d’absorption.

Les résultats de protéines à la récolte faibles - malgré un rendement décevant qui aurait dû concentrer la protéine - peut venir en partie de ce défaut d’absorption, si celui-ci n’a pas été suffisamment corrigé en fin de montaison.

La meilleure stratégie à avoir cette année : le « biberonnage » des céréales et le pilotage du dernier apport. Les stratégies en deux apports d’azote précoces ont, au contraire, été fortement pénalisées !

Une pression maladie dominée par la septoriose

La pression rouille jaune est restée faible tout au long de la montaison. Du côté de la septoriose, la pression a été importante, la nuisibilité moyenne est de 30 q/ha pour les semis d’octobre et de 20 q/ha pour les semis de décembre. La rouille brune est apparue précocement cette année, mais elle est restée discrète dans la majorité des situations bretonnes.

Une fertilité d'épis dans la moyenne

À la différence des orges, les blés ont eu une fertilité d’épis dans la normale. Sur 8 des 9 sites d’essais variétaux, les cinq variétés suivies plus finement présentent une fertilité d’épis en baisse de -1 % à peine, pour une densité d’épis un peu plus faible. Finalement, le nombre de grains/m² est légèrement déficitaire de -2 % par rapport à la moyenne pluriannuelle (figure 1).

Figure 1 : Densité d’épis/m² en fonction du nombre de grain/épi

Figure 1 : Densité d’épis/m² en fonction du nombre de grain/épi

Source : ARVALIS

La majorité des sites d’essais ont une fertilité d’épis dans la moyenne ou supérieure. Seul l'un d'entre eux a été très impacté -celui de Saint-Jean-sur-Vilaine (35) (points verts), en semis précoce (20 octobre) -, avec une chute importante de -18 %.

Un remplissage et des poids spécifiques décevants

Les remplissages des grains ont été pénalisés par les conditions de fin de cycle. Les PMG (poids de mille grains) sont en baisse de -9 % sur les variétés suivies. C’est la composante la plus impactée par les conditions de campagne 2024.

Les poids spécifiques (PS), critère commercial qui ne rentre pas en compte dans l’élaboration du rendement, ont été également pénalisés (-3 % sur les cinq variétés suivies).

Certains facteurs peuvent expliquer le remplissage défaillant.

Pression maladies mal contrôlée sur les semis précoces 

Le remplissage (PMG) entre le grain laiteux et pâteux a pu être pénalisé par la pression maladies sur le feuillage : en premier lieu, la septoriose, réduisant la surface photosynthétique et perturbant le métabolisme de la plante. A noter également la pression fusarioses pour certaines variétés et dates de semis précoces, ainsi que la pression parasitaire sur tige avec le piétin-verse encore bien présent cette année. La pression piétin échaudage n’a pas été aussi visible en végétation que l’an dernier en raison d’une fin de cycle davantage pluvieuse. Néanmoins, même si la maladie n’échaude pas l’épi, cela peut réduire le remplissage des grains.

Ces pressions maladies peuvent amplifier le mauvais remplissage au cas par cas, mais ne l’expliquent pas totalement de manière généralisée, notamment sur les semis de fin novembre avec un niveau plus faible et plus facile à maîtriser.

Une météo changeante et capricieuse en fin de cycle

Généralement, en fin de cycle, les températures chaudes et échaudantes inquiètent en premier lieu sur le bon remplissage des blés, ce qui n’a pas été le cas cette année. Toutefois, l’inverse est tout aussi alarmant : un temps froid, humide et sombre peut être davantage préjudiciable que quelques jours échaudants, comme cette année.

En effet, à partir de mi-mai, la météo a été changeante avec une deuxième quinzaine plus sombre et pluvieuse, suivie de 10 jours de temps ensoleillé début juin pour finir avec une mi-juin froide, pluvieuse et en manque de rayonnement.

Cette alternance climatique va impacter différemment les blés selon le stade à fin mai et mi-juin. Cela peut impacter la mise en place de l’enveloppe du grain constituant le potentiel du PS et PMG entre floraison et grain laiteux, mais également d’un défaut de remplissage entre grain laiteux et pâteux.

Difficile de faire un constat général précis, au vu des semis et stades étalés cette année. Ce qu’on constate plus globalement, c’est que la période de mi-mai à fin juin, correspondant majoritairement à la période floraison-maturité, a été impactée par (cartes 3 à 5) :

  • Des excès de pluies sur le 35, le sud 56 et le sud 29, pouvant perturber le métabolisme racinaire de la plante courant remplissage par une saturation du sol en eau. Le 22, le nord 56 et le nord 29 ont néanmoins été épargnés par rapport aux pluies des années passées sur cette période.
  • Des déficits de températures partout en Bretagne, ce qui est surprenant dans un contexte de changement climatique. C’est notamment la période de mi-juin qui a été fortement déficitaire, pouvant interférer sur le remplissage des grains.
  • Des manques de rayonnement de manière importante sur le 35 et le nord-ouest 29 (-4 à -8 %). Le 22 est dans la médiane. Ce manque de rayonnement pénalise la photosynthèse et le remplissage des grains en éléments carbonés.

Une teneur en protéines aléatoire parfois décevante

Les baisses de rendement auraient pu amener en tendance à une concentration de la protéine, mais cela n’a pas toujours été le cas. Au-delà du fait que des variétés très cultivées en Bretagne comme KWS Extase et Chevignon font initialement peu de protéines, les pluies et le froid de fin de cycle expliquent en partie ces teneurs parfois décevantes.

Les pluies courant montaison ont saturé les sols en eau, perturbant l’absorption d’azote par la plante. Si le dernier apport n’a pas été piloté, l'INN a été très faible à floraison entre 0,6 et 0,7, loin de l’optimum rendement et protéines établi à 1.

La période de mi-juin en plein remplissage a connu des températures très froides, certains jours autour du 12 juin sont historiquement les plus froids depuis vingt ans. Cette baisse de températures perturbe le fonctionnement azoté de la plante et ne permet pas à l’azote de migrer dans le grain, et donc, d’élaborer de bonnes teneurs en protéines.

Carte 3 : Cumul des pluies entre le 15 mai 2024 et le 30 juin 2024 en % de la médiane 2000-2023

Carte 3 : Cumul des pluies entre le 15 mai 2024 et le 30 juin 2024 en % de la médiane 2000-2023

Carte 4 : Somme des températures moyennes entre le 15 mai 2024 et le 30 juin 2024 en % de la médiane 2000-2023

Carte 4 : Somme des températures moyennes entre le 15 mai 2024 et le 30 juin 2024 en % de la médiane 2000-2023

Carte 5 : Somme du rayonnement entre le 15 mai 2024 et le 30 juin 2024 en % de la médiane 2000-2023

Carte 5 : Somme du rayonnement entre le 15 mai 2024 et le 30 juin 2024 en % de la médiane 2000-2023
À RETENIR

Une campagne chaude et humide :
- Le rendement 2024 a été impacté par des excès de pluies qui se sont prolongés jusque mi-montaison, ce qui est plus rare. Les sols peu filtrants ont été d’autant plus impactés par ces sols saturés en eau.
- Ces excès d’eau hivernaux ont perturbé les semis, mais également les chantiers de désherbage. En conséquence, une progression importante des ray-grass a été observée.
- La densité d’épis est très variable selon les excès d’eau et la capacité de ressuyage des sols. En moyenne, la densité d’épis/m² est légèrement déficitaire.
- Cette saturation en eau des sols a perturbé l’assimilation de l’azote par les racines, conduisant à un état de nutrition azotée dégradée à floraison.
- La fertilité d’épis est moyenne à bonne dans la majorité des situations. Cela conduit à un nombre de grains/m² légèrement déficitaire.
Les pluies récurrentes sur la fin de cycle, malgré quelques semaines d’accalmie, ont amené un temps couvert et un rayonnement faible. En conséquence, les PMG et PS ont été affectés.
- Une pression septoriose élevée a pu également perturber le remplissage : en moyenne, 30 q/ha pour les semis d’octobre, 20 q/ha ceux de décembre. Une pression moyenne en fusarioses sur épis, piétin-verse et piétin échaudage, ainsi qu’une pression rouilles faible.
- Les teneurs en protéines sont décevantes, malgré des rendements faibles qui auraient pu concentrer la protéine. Le défaut d’absorption d’azote courant montaison et la fin de cycle fraîche, préjudiciable au métabolisme azoté, sont deux sources d’explications.

Tableau 1 : Bilan des composantes de rendement 2024 en blé tendre
Les chiffres proviennent du suivi du comportement moyen par rapport à la base de données pluriannuelle Bretagne de cinq variétés (Kws Extase, Chevignon, Intensity, Celebrity, Lg Audace) sur sept sites d’essais (2 dans le 22, 2 dans le 35, 1 dans le 29 et 2 dans le 56) pour des dates de semis allant du 20 octobre au 1er décembre.

Comparaison sur la moyenne des 20 dernières années
-- : très inférieur à la moyenne
- : inférieur à la moyenne
0 : proche-autour de la moyenne
+ : supérieure à la moyenne

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