Prix des engrais - Quelles économies d’azote attendre des couverts de légumineuses ?
A l’heure où le cours de l’azote est élevé, les couverts de légumineuses ont une carte à jouer pour diversifier les sources du précieux élément. Faisons le point sur leur effet fertilisant et les économies d’azote à la clé.
En l’espace d’un an, le cours des engrais azotés a été multiplié par 3, faisant de la fertilisation un poste de charges très impactant sur les coûts de production des cultures. De plus, la tension sur le marché des engrais a occasionné pour la campagne 2022 de fortes difficultés d’approvisionnement qui pourraient se poursuivre pour 2023.
La hausse des cours des céréales et des oléoprotéagineux devrait permettre d’absorber, au moins partiellement, cette hausse des charges pour la récolte 2022. Mais il est encore trop tôt pour se projeter sur 2023. Par ailleurs, l’incertitude demeure quant aux possibilités de livraison des engrais nécessaires dans les délais souhaités.
Au-delà de s’assurer que chaque apport d’engrais soit réalisé en conditions favorables afin d’en tirer le plus d’efficacité possible, il est judicieux de chercher à diversifier les sources d’azote, notamment en insérant davantage de légumineuses dans les rotations.
Au sommaire :
Pour un effet fertilisant des couverts, les légumineuses sont incontournables
Les intercultures longues entre céréales à paille et cultures de printemps, où l’implantation d’une culture intermédiaire est rendue obligatoire en zones vulnérables par la directive nitrate, constituent une bonne opportunité pour insérer des légumineuses dans les systèmes de culture.
Selon les régions, celles-ci peuvent être semées en tant que couvert d’interculture seules ou obligatoirement associées à au moins une espèce non légumineuse (se référer à la DRAAF de votre région pour connaître la réglementation en vigueur).
Dans les deux cas, la culture suivante pourra bénéficier de fournitures d’azote conséquentes, de l’ordre de 30 à 40 kg N/ha (tableau 1), avec autant d’économies possibles à la clé sur la dose d’azote à apporter, sous réserve toutefois d’obtenir un développement satisfaisant du couvert (> 1,5 t/ha). Les fournitures peuvent même atteindre une centaine de kg d’azote par hectare pour des couverts ayant produit une biomasse très élevée (4 t de MS/ha pour des légumineuses pures à 5 t pour des mélanges avec légumineuses).
En revanche, les fournitures d’azote à espérer des couverts sans légumineuse en moyenne sont nulles (tableau 1).
Tableau 1 : Comparaison de la production de biomasse, de l’azote absorbé et de l’effet fertilisant* de différents types de couverts d’interculture - Synthèse de 12 essais Arvalis-CREAS, en 1991 puis 2006 à 2011
Pour chaque type de couvert, le nombre d’essais sur lequel reposent les moyennes est indiqué entre parenthèses. Les valeurs extrêmes et l’écart-type sont des indicateurs de la variabilité des mesures ; un écart-type plus faible est synonyme de plus de régularité.
* L’effet fertilisant des couverts végétaux correspond au supplément d’azote absorbé par la culture implantée après un couvert par rapport à une situation comparable après un sol nu. Cet effet fertilisant peut parfois être négatif si l’enfouissement des résidus du couvert induit de « l’organisation nette », ou lorsque les restitutions ne compensent pas la diminution du stock d’azote minéral du sol liée à l’absorption du couvert ; c’est le cas des années à hiver sec, où les pertes d’azote par lixiviation sous un sol nu sont faibles. Cet effet fertilisant des couverts peut être estimé à l’aide de la méthode MERCI.
Une grande diversité de modes d’insertion
L’implantation de cultures intermédiaires à base de légumineuses ne doit pas se limiter aux situations où la réglementation impose une couverture hivernale du sol. En interculture longue hors zones vulnérables ou même en interculture courte (entre deux céréales à paille par exemple), elle peut également s’avérer payant, sous réserve de minimiser les surcoûts (nombre de passages, semences).
Outre l'implantation d'une culture intermédiaire « classique » en interculture, d’autres modes d’insertion de légumineuses peuvent être envisagés pour bénéficier de leur capacité de fixation de l’azote de l’air. On peut distinguer les cas où les légumineuses jouent essentiellement le rôle de « plantes de service », au travers de couverts relais, couverts permanents ou semi-permanents et couverts associés. Dans d’autres cas, les légumineuses sont elles-mêmes récoltées et valorisées soit en tant que cultures principales, soit en tant que cultures associées (associations céréales à paille - protéagineux à graine par exemple).
Des légumineuses compagnes
Pratiqué déjà depuis plus d’une dizaine d’années, le colza associé à des légumineuses compagnes régulées chimiquement lors du désherbage au printemps ou détruites par le gel en hiver montre des résultats intéressants. Terres Inovia estime que des économies d’azote de 20 à 30 kg/ha sont possibles sur le colza qui bénéficie de la minéralisation des résidus des légumineuses.
Depuis deux ans, ARVALIS teste en agriculture biologique des couverts associés de féverole implantés en inter-rang du blé semé à écartement large. Pour s’affranchir des contraintes du triage des graines et afin de bénéficier de l’azote fixé par la féverole, cette dernière est détruite par un binage en cours de montaison du blé (vers le stade 2 nœuds). Dans ce cas, la légumineuse compagne ne permet pas de réaliser d’économie d’azote (le blé dans ces essais en AB n’était pas fertilisé). En revanche, une augmentation de la teneur en protéines de 0,7 à 1 % a été mesurée et aucune perte significative de rendement n’a été enregistrée dans le même temps (de -0,4 à +3 q/ha).
Dans le cas de couverts relais, tels que du trèfle semé en sortie d’hiver dans du blé en plein tallage puis détruit avant l’implantation de la culture suivante, l’effet fertilisant et les économies d’azote envisageables seront comparables à ceux d’un couvert « classique » à biomasse équivalente et famille de couvert identique (les couverts relais sont en général des légumineuses pures, ce qui est moins vrai avec les couverts post-moisson).
En revanche, dans le cas des couverts permanents ou semi-permanents, où la régulation voire la destruction a lieu plus tard au printemps, l’impact sur la nutrition azotée est plus difficile à prévoir à l’avance. Il n’est pas recommandé de réduire la dose d’azote à apporter et le bénéfice s’exprime généralement plutôt par un déplafonnement du rendement de la culture principale et/ou une augmentation de sa teneur en protéines.
Des légumineuses de rente
Dans les situations où les légumineuses introduites dans la rotation sont récoltées en tant que cultures principales, elles permettent une double économie d’azote : l’année où elles sont cultivées (pas de fertilisation azotée) et l’année suivante (réduction significative de la fertilisation azotée sur la culture suivante en raison de leur effet précédent très favorable). Cependant, cela nécessite de trouver des débouchés suffisamment rémunérateurs pour ces cultures, ce qui n’est pas toujours chose aisée.
Récoltées en tant que cultures associées, les légumineuses autorisent aussi, l’année en cours puis sur la culture suivante, des économies d’azote. Mais celles-ci sont moins importantes qu’en légumineuses pures.
Des itinéraires techniques qui se complexifient
Ces différents modes d’insertion de légumineuses peuvent entraîner des modifications plus profondes du système de culture et nécessitent souvent une plus grande maîtrise technique que les cultures intermédiaires « classiques ».
C’est le cas dès lors qu’ils impliquent de gérer des peuplements complexes où l’itinéraire technique de chaque composante de ce peuplement est spécifique (dates d’implantation, de destruction ou de récolte différentes) et dans lesquelles les différentes composantes ont chacune leur propre destination (légumineuse régulée ou détruite, céréale récoltée ou céréale et légumineuse à graines toutes deux récoltées mais avec une étape de triage post-récolte).
Couverts de légumineuses : un intérêt économique sous certaines conditions
Par rapport à une culture intermédiaire « classique » (moutarde d’environ 2 t MS/ha, détruite à l’automne, dans un objectif de pièger les nitrates) et pour des techniques d’implantation et de destruction similaires, les couverts de légumineuses peuvent permettre des économies de l’ordre de 20 à 80 €/ha pour des niveaux de biomasse modestes (tableau 2). Des couverts de légumineuses très développés laissent envisager des économies de 70 à près de 200 €/ha.
Tableau 2 : Estimation des économies d’azote envisageables pour différents types de couverts en fonction du niveau de développement atteint dans un contexte de prix de l’azote élevé (2,5 €/kg)
Hypothèses de calcul :
1 Pour un prix de l'azote de 2,5 €/kg
2 Semences fermières
3 Selon technique utilisée (semis à la volée, semis direct ou semis après préparation du sol)
4 Selon technique utilisée (semis à la volée ou semoir à socs sans préparation du sol)
5 Semis avec le colza
6 Selon technique utilisée (pas nécessaire de travail du sol supplémentaire par rapport à un sol nu mais parfois roulage ou broyage en plus)
7 Destruction lors du désherbage du colza
8 Comparaison à un colza "sol nu" (sans légumineuse compagne)
Ces estimations sont à considérer dans un contexte de prix de l’azote très élevé. Avec un prix de l’azote historique proche de 1 €/kg, les économies à espérer sont beaucoup plus modestes : de 20 à 80 €/ha pour des couverts de légumineuses très développés et seulement d’une dizaine d’euros pour du trèfle associé au colza. En revanche, des couverts de légumineuses moyennement développés (1,5 t de MS/ha) présentent un surcoût de 5 à 10 €/ha par rapport à une culture intermédiaire classique. Cela s’explique principalement par le prix des semences plus élevé.
A noter qu'en interculture courte (entre deux céréales à paille par exemple), l’intérêt économique d’un couvert est souvent plus limité et doit davantage s'envisager en fonction des opportunités, notamment à la faveur de pluies juste après la moisson. Compte tenu de la période de croissance relativement courte et des niveaux de biomasses modestes qui en résultent, des économies ne sont possibles que pour des légumineuses pures, dans un contexte de prix de l’azote élevé et à condition d’opter pour des techniques d’implantation et de destruction les moins coûteuses possibles.
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