Conservation des pommes de terre : quelle stratégie envisager avec les différents produits antigerminatifs ?
La gamme de produits pour contrôler la germination des tubercules au stockage s’est étoffée avec l’homologation, en novembre 2020, d’Argos, un produit d’origine naturelle à base d’huile d’orange. Il vient compléter les solutions récemment homologuées : l’huile de menthe en 2010, l’éthylène en 2011 et le 1,4 DMN en 2017. La stratégie de lutte contre la germination peut également intégrer l’emploi de l’hydrazide maléique applicable en végétation et homologué depuis 1992.
La bonne maîtrise de la germination des pommes de terre de conservation, destinées à la consommation en frais ou à la transformation, est un élément clé de leur stockage. En effet, l’émission de germes entraîne rapidement un accroissement des pertes de poids, induit un sucrage néfaste à l’aptitude à la friture des tubercules destinés à une utilisation industrielle. A l’extrême, la germination peut rendre difficile les opérations de reprise. Pour le marché du frais, l’arrêté du 3 mars 1997 relatif au commerce de la pomme de terre de conservation et de la pomme de terre primeur oblige à ce que les tubercules soient non germés. Dans son interprétation, les germes ne doivent pas dépasser 3 mm.
Comment ça marche ?
Après une phase de repos végétatif propre à chaque variété, la germination des tubercules est inéluctable. Son démarrage peut cependant être freiné, lorsque le débouché des tubercules le permet, par leur stockage à température basse (4 à 5°C). La régularité du maintien des tubercules à la température de consigne et leur conservation sans excès d’humidité limitera la stimulation de la germination.
Sur le long terme, le contrôle de la germination passe le plus souvent par l’utilisation raisonnée des inhibiteurs de germination autorisés en France, dont plusieurs entrent dans la catégorie « biocontrôle » et/ou sont autorisés en Agriculture Biologique. Chaque molécule possède un mode d’action propre agissant :
- soit plutôt de manière préventive en retardant la germination (1,4 DMN, hydrazide maléique) ou en ralentissant l’élongation des germes (éthylène, hydrazide maléique),
- soit plutôt de manière curative en détruisant les germes ou les méristèmes (huile de menthe, huile d'orange).
Les références expérimentales ARVALIS
La maîtrise de la germination des tubercules stockés constitue un volet permanent de l’activité d’ARVALIS dans ses travaux concernant la conservation des pommes de terre. A ce titre, l’Institut maintient une collaboration rapprochée avec les différentes sociétés impliquées dans la mise en marché des molécules inhibitrices de germination : Biofresh, Certis, Comyn, Kreglinger, Néo-Fog, Restrain, UPL, Xeda… De nombreuses expérimentations menées au fil des ans avec ces différents partenaires ont ainsi permis de définir les principaux points forts et points faibles des produits commercialisés.
Hydrazide maléique : une efficacité limitée dans le temps
L’hydrazide maléique (Fazor® Star, Itcan…) doit être appliqué en végétation dès que les tubercules ont dépassé un calibre minimal (de 25 mm en chair ferme à 35 mm pour les variétés de transformation) et au minimum 15 jours à 3 semaines avant la date de défanage. Cela permet à cette molécule systémique de migrer vers les tubercules et d’y être présente en quantité suffisante au moment de la récolte. Elle bloque alors en général pendant 2 à 3 mois la germination des tubercules en fonction de la variété et de la température de conservation. Cela permet de disposer d’une plus grande souplesse dans le raisonnement de la date de première intervention pour le(s) traitement(s) complémentaire(s) en stockage si l’on souhaite stocker sur une plus longue période. Les essais réalisés par ARVALIS ont par ailleurs montré qu’en fin de conservation, l’action du produit pouvait limiter le risque de germination interne, notamment pour les variétés destinées à la transformation industrielle, stockées à 8°C et plus. Le produit possède également des actions secondaires intéressantes pour réduire la repousse physiologique (« rejumelage ») en végétation et les repousses de pomme de terre dans les cultures suivantes. Sa Limite Maximale de Résidus (LMR) est désormais de 60 mg/kg.
Le 1,4 DMN : un retardateur de germination
Le 1,4 Dimethylnaphtalène (1,4 DMN), homologué en France depuis septembre 2017 comme inhibiteur de germination, est commercialisé par Dormfresh à travers la spécialité Dormir. Ce produit contient 980 g/kg de 1,4 DMN et il est thermonébulisable à la dose de 20 ml/t. Il faut veiller à respecter un maximum de 6 applications par an et un délai après traitement de 30 jours pour la commercialisation des tubercules traités. La LMR est fixée à 15 mg/kg (15 ppm).
Les catégories et mentions de danger évoquées à son égard nécessitent une protection appropriée des yeux et des voies respiratoires pour les opérateurs, y compris pour les visites de contrôle, ainsi qu’éviter toute pollution du milieu aquatique.
Les essais conduits durant plusieurs années sur le centre de Villers-Saint-Christophe par ARVALIS ont montré une bonne efficacité de contrôle de la germination avec le 1,4 DMN :
- soit seul en traitement répété à 20 ml/t toutes les 6 semaines environ,
- soit en programme après une application initiale d'hydrazide maléique au champ, en réduisant alors les doses complémentaires de 1,4 DMN à 15 voire 10 ml/t.
Le produit agit comme un retardateur de démarrage de la germination. Il doit donc être appliqué suffisamment tôt après la rentrée des pommes de terre dans le bâtiment de stockage pour garantir une efficacité maximale pour les variétés à court repos végétatif. Il faut cependant traiter sur des tubercules secs et bien cicatrisés, tout particulièrement pour les variétés à peau fine pour lesquelles une réduction de dose est souvent conseillée.
Trois molécules utilisables en agriculture biologique
L'huile de menthe, l'huile d'orange et l'éthylène, trois molécules d’origine naturelle, sont homologuées en France au travers des spécialités commerciales Biox M pour la première, Argos pour la deuxième, Restrain et Biofresh Safestore pour la troisième. Elles sont toutes les trois inscrites sur la liste des produits utilisables en Agriculture Biologique. Ces produits ne laissent pas de résidus sur les tubercules et ne sont pas concernés par une Limite Maximale de Résidus (LMR). Ils ont cependant un profil et un mode d’action très différent.
Davantage de souplesse pour les applications d'huile de menthe par thermonébulisation
L’huile de menthe peut être appliquée par thermonébulisation dans le bâtiment. Celui-ci doit donc disposer d’une ventilation optimale pour assurer une bonne répartition du produit. L'huile de menthe agit en détruisant les germes en formation à condition de bien respecter la dose d’emploi préconisée et de laisser le bâtiment au repos, fermé pendant au moins 48h, le produit étant particulièrement volatile. La première application doit être réalisée assez tôt, au plus tard au stade point blanc, de façon à détruire au mieux le méristème à l’origine du germe. Par la suite, il est nécessaire de renouveler l’opération lorsque la germination reprend : il faut alorrs ré-intervenir au plus tard au stade point blanc, c’est-à-dire après quelques semaines en fonction de la variété et de la température de stockage.
Depuis le 10 novembre 2021, l’ANSES a assoupli les méthodes d’application de ce produit par thermonébulisation. Auparavant, une première application de 90 ml/t pouvait être réalisée, suivie au plus de neuf applications de 30 ml/t maximum en fonction de la pression germinative des tubercules. Désormais, les doses pourront varier de quelques dizaines de millilitres par tonne à 90 ml/t par application. Cette flexibilité permet d’ajuster les interventions à la pression germinative constatée en stockage. Celle-ci est en effet variable en fonction de la variété ou encore des conditions de conservation.
La quantité maximale de BIOX M applicable sur une campagne est également revue à la hausse pour atteindre 390 ml/t pour les applications par thermonébulisation. Quant à l’intervalle minimal entre deux applications, il est maintenu à 21 jours.
Le produit BIOX M peut également s’appliquer en évaporation à froid. Pour cette pratique, la réglementation impose des applications entre 1 à 2 ml/t par jour, avec au maximum 360 ml/t sur la campagne.
Argos : Un produit composé d’huile essentielle d’orange
Homologué en France depuis le 6 novembre 2020, Argos est commercialisé par la société Arysta LifeScience / UPL, et plus particulièrement sa filiale spécialisée Néo-Fog située à Frelinghien (59).
Ce produit d’origine naturelle est composé presqu’exclusivement d’huile essentielle d’orange (à 843,2 g/l). Il s’applique par thermonébulisation directement dans le bâtiment de stockage. La mise en marche de la ventilation à faible débit, en mode recyclage interne, permet de le distribuer de manière homogène dans la masse des tubercules stockés. Cette molécule est également homologué pour s'appliquer par nébulisation à froid sous certaines conditions, notamment le type de variété ainsi que la taille des gouttelettes nébulisées.
La dose d’application unitaire est de 100 ml par tonne de tubercules stockés. Elle doit être régulièrement renouvelée en cours de conservation, dès que de nouveaux germes apparaissent au bout de quelques semaines, avec un délai d’au moins trois semaines entre deux traitements et un maximum de 9 applications par an.
La première application doit être réalisée a minima lorsque les tubercules sont bien secs et cicatrisés. La fréquence de renouvellement du traitement dépend principalement de la variété (vitesse d’incubation), de la température de stockage et de la maîtrise des conditions de conservation.
L’application se réalisant sous la forme d’un brouillard de très petites gouttelettes de quelques microns de diamètre, le bâtiment doit disposer d’une étanchéité suffisante pour éviter les pertes de produit.
L'éthylène agit comme une hormone végétale
Le mode d’action de l’éthylène est tout autre. Il ne détruit pas les germes mais agit comme une hormone végétale : il freine d'abord considérablement leur apparition puis leur vitesse d’élongation. Là aussi, si la pression germinative est faible (température de consigne basse et variété à repos végétatif long), l’efficacité antigerminative est améliorée. Dans tous les cas, les germes, s’ils apparaissent, restent petits, trapus et faiblement adhérents aux tubercules. Ils sont ainsi très aisément éliminés lors de la reprise à la moindre manipulation.
Dans le procédé Restrain, l’éthylène est produit par un générateur à partir de la catalyse de l’éthanol présent dans le réservoir de l’appareil. L’éthylène agissant sous forme gazeuse, il ne faut pas dépasser une concentration maximale de 10 ppm dans l’ambiance du bâtiment pendant toute la durée du stockage, après une phase de montée progressive en concentration pour éviter un stress trop important des tubercules. Dans le cas du procédé Biofresh Safestore, l'éthylène est directement diffusé dans le stockage à partir de bouteilles de gaz comprimé. Même si le maintien d’une concentration en éthylène est nécessaire, cela n’exclut pas de devoir procéder régulièrement à une aération du bâtiment pour éviter une élévation néfaste de la teneur en CO2.
Un effet sucrage des tubercules observé avec l'éthylène
Les contrôles réalisés sur la qualité technologique et organoleptique des tubercules stockés ont montré que l'utilisation de l'huile de menthe ou de l'éthylène n'altère pas la cuisson vapeur. En revanche, on observe une certaine tendance à l’accroissement du sucrage des tubercules lorsqu’on utilise de l’éthylène. De ce fait, cette pratique a longtemps été déconseillée pour les débouchés en produits frits industriels, surtout si on ne maîtrise pas bien la montée en concentration en éthylène ainsi que la teneur en gaz carbonique dans le bâtiment. Les récents travaux ont toutefois montré qu'une forte variabilité existait entre les variétés vis-à-vis de leur sensibilité au sucrage à l'éthylène. Pour l'instant, l'utilisation d'éthylène apparaît possible sur les variétés Fontane et Markies, spécialement dédiées à la fabrication de frites, à condition d'un suivi régulier de l'évolution de la qualité par le producteur et l'industriel.
Les préconisations d'ARVALIS
- L’existence d’une gamme de produits permet désormais une meilleure adaptation dans les stratégies de traitement antigerminatif en fonction du degré de sophistication du bâtiment de stockage, du type de variété et de débouché, de la température de consigne et de la durée de conservation envisagée. Il est en effet possible de combiner l’utilisation des différents produits pour parvenir au résultat escompté en cherchant à tirer le meilleur parti des spécificités de chaque molécule.
- Chaque solution n’est cependant pas équivalente en terme financier compte tenu du prix respectif de chaque produit et des doses appliquées. Les estimations de coût peuvent être évoquées en fonction des quantités de matière active appliquées.
Réagissez !
Merci de vous connecter pour commenter cet article.