Déclin des oiseaux et pratiques agricoles : un lien de causalité qui fait débat
Le 15 mai 2023, un article scientifique portant sur les causes de la chute des populations d’oiseaux en Europe sortait dans une revue renommée en écologie. Cette étude et ses diverses reprises médiatiques insistent sur la corrélation forte entre ce déclin et l’intensification des pratiques agricoles. L’analyse fine des dynamiques temporelles démêlant les liens de cause à effet est toutefois moins claire.
Portée par un laboratoire d’écologie français (Institut des Sciences de l’Evolution de Montpellier), cette étude présente des résultats importants sur l’évolution de la biodiversité aviaire et ses déterminants agro-environnementaux. L’étendue spatiale et temporelle des données analysées est inédite et les méthodes d’analyse des séries temporelles sont innovantes. L’étude souffre en contrepartie de limites inhérentes à ce genre d’analyses très globales, limites largement reconnues par les auteurs.
Plus de 20 ans de suivis à travers toute l’Europe
Dans cette étude, les auteurs utilisent des données de sciences participatives acquises au travers du programme paneuropéen de suivi des oiseaux communs. Le protocole consiste à réaliser 10 points d’échantillonnage de 5 minutes, répartis dans un carré de 2 km x 2 km, durant lesquelles le volontaire dénombre tous les oiseaux vus et entendus. Ce protocole est répété trois fois par printemps et réitéré chaque année par les mêmes volontaires. Le nombre de sites d’observations varie selon les années et les pays. Pour la France, depuis 2004, ce nombre oscille entre 700 et 1 100. A raison de dix points d’échantillonnage par carré, cela représente donc entre 7 000 et 11 000 sites observés en France, trois fois par an.
Ce suivi a démarré à diverses dates selon les pays (en 1989 en France). Il en résulte des séries temporelles de plus de 20 ans (jusqu’à 37 ans dans certains pays), documentant l’évolution des populations d’oiseaux dans l’essentiel de l’Europe, avec des couvertures nationales denses.
Carte 1 : Couverture du territoire des suivis d’oiseaux communs réalisés en France depuis 2001
Source : carte tirée du rapport « Suivi des oiseaux communs en France 1989-2019 : 30 ans de suivis participatifs » de B. Fontaine et collaborateurs (2020)
Un déclin des populations d’oiseaux confirmé pour de nombreuses espèces
L’analyse de ces données montre d’abord que les populations d’oiseaux ont chuté sur les 37 dernières années. En globalité, c’est une chute de 25 % des abondances qui est observée, avec un déclin plus marqué pour les espèces typiquement agricoles (-57 %) par rapport aux espèces forestières (-18 %) ou urbaines (-28 %). Le déclin est variable selon les pays mais la France semble globalement alignée avec la tendance générale.
Des déclins du même ordre de grandeur étaient également rapportés par R. Stanton et ses collègues en 2018 pour les oiseaux d’Amérique du Nord.
Les auteurs de l’étude cherchent à déterminer les causes de ces dynamiques par quatre autres séries temporelles :
- l’évolution des systèmes agricoles. Ces derniers sont décrits essentiellement par la proportion de fermes pratiquant une agriculture intensive en intrants1, d’après les critères d’Eurostat, c’est-à-dire une dépense annuelle supérieure à 560 €/ha (valeur corrigée de l’inflation, en se basant sur la valeur de l’euro en 2010).
- l’évolution du couvert forestier ;
- l’évolution de la couverture du milieu urbain ;
- l’évolution des températures.
Pour l’essentiel des analyses réalisées, les séries temporelles sont disponibles sur une période de 20 ans (1996 - 2016) dans chaque pays.
Les pratiques « intensives » et l’augmentation des températures pointées du doigt
D’après l’analyse statistique des séries temporelles, c’est pour la température que les auteurs observent le plus de liens de cause à effet avec les populations d’oiseaux (tableau 1). Ce lien de causalité est à peu près aussi souvent positif que négatif : 17 % des espèces d’oiseaux étudiées sont favorisées par l’augmentation des températures alors que 16 % sont défavorisées. Les données ne permettent pas de conclure à un lien clair de cause à effet pour les autres espèces étudiées.
Quant à la part de fermes intensives en intrants, c’est une cause du déclin de 18 % des 168 espèces étudiées, mais elle impacte positivement 11 % d’espèces.
De son côté, l’essor urbain cause la régression de 7 % des espèces étudiés (contre 5 % d’espèces favorisées). Enfin, l’augmentation du couvert forestier cause plus fréquemment l’essor des populations d’oiseaux (9 %), tandis qu’elle défavorise 5 % des espèces.
Tableau 1 : Lien de causalité entre la dynamique des populations d’oiseaux (168 espèces étudiées) et quatre paramètres agroenvironnementaux
Source : chiffres tirés de l’étude « Les pratiques agricoles déterminent le déclin des populations d’oiseaux en Europe », de S. Rigal et collaborateurs (2023)
Des limites inhérentes à l’étude de processus globaux
La principale limite de cette étude est la caractérisation simplificatrice des systèmes agricoles au travers des dépenses en intrants : leur augmentation au fil des années est ici qualifiée d’intensification des pratiques. Or, dans le même temps, d’autres éléments des systèmes de culture ont évolué de manière variée selon les pays (diversité des assolements, place de l’élevage, abondance et connectivité des infrastructures agroécologiques, modalités de travail du sol…). Cette limite est essentiellement liée à une indisponibilité de données précises, à large échelle spatiale et temporelle sur tout cet ensemble de pratiques. La mise en place de suivis fins de ces pratiques fait partie des perspectives proposées par les auteurs.
Par ailleurs, une limite peu discutée concerne la discordance spatiale entre les populations d’oiseaux suivies et les déterminants agro-environnementaux utilisés. Ces derniers sont considérés à des échelles nationales alors que les suivis d’oiseaux couvrent les territoires de manière hétérogène. Une couverture probablement d’autant plus hétérogène qu’on remonte dans le temps, puisque le nombre de carrés suivis les premières années était plus faible (en France, autour de 100 en 2001, c’est-à-dire 10 fois moins que dans la période 2004-2016). Cela peut être anecdotique dans des pays où les systèmes agricoles sont très homogènes. En revanche, cela pourrait induire des biais dans l’analyse des liens de cause à effet dans des pays aux systèmes agricoles très diversifiés, dont les régions ont vécu des dynamiques différentes au cours des dernières décennies.
Des leviers agro-environnementaux à identifier
En parallèle de ce type d’études dressant un panorama global de la biodiversité à large échelle, il est nécessaire de pouvoir identifier plus précisément les pratiques favorables à cette biodiversité et agronomiquement réalistes. Un prérequis pour mobiliser efficacement citoyens et agriculteurs dans le défi de préservation de la biodiversité.
1 Les intrants considérés sont les fertilisants et biostimulants achetés à l’extérieur, les produits phytopharmaceutiques, les autres moyens de protection comme les pièges ou appâts, les épouvantails, les protections anti-grêle, les protections anti-gel, et les aliments pour le bétail achetés à l’extérieur. Les auteurs montrent que la part de fermes intensives en intrants est fortement corrélée à l’utilisation de produits phytopharmaceutiques (coefficient de corrélation = 0,76) et à l’utilisation de fertilisants (coefficient de corrélation = 0,77).
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