Blé tendre d’hiver : un début de cycle sur les chapeaux de roue, une fin de cycle très mitigée
Après un début de campagne quasi idéal pour les blés tendres d’hiver et des premières composantes qui laissaient augurer des rendements élevés, la phase de remplissage des grains et ses conditions climatiques particulières ont entamé le potentiel. Retour sur les éléments clés de la campagne 2022-2023.
De la douceur durant l’automne-hiver
Les conditions rencontrées par les blés tendres d’hiver sont les mêmes que celles connues par les orges d’hiver : des conditions de semis et de levées correctes, en lien avec la douceur de l’automne. Les pucerons et cicadelles ont également été présents dans les blés, avec quelques signalements de viroses durant le printemps (situations pour lesquelles il n’y a en général pas eu d’intervention). Comme pour les orges, 2023 se distingue par un cumul de +200°C par rapport à la moyenne sur vingt ans sur la période du 1er octobre au 1er mars, avec une début montaison enregistré en moyenne autour du 20 mars, soit une avance de sept jours par rapport à la moyenne sur dix ans dans l’observatoire ARVALIS.
Sur le plan hydrique, l’automne-hiver n’a permis de recharger les nappes que partiellement (cumuls de pluie inférieurs à la moyenne sur dix ans), et le mois de février, plutôt sec, a pu limiter la valorisation des apports d’azote à tallage. On notera également les conditions favorables à la minéralisation durant l’automne et les cumuls de pluies en retrait ont engendré des reliquats sortie hiver sur une moyenne haute (75 kg N/ha en moyenne sur trois horizons, dont ≈ 70 % sur les deux premiers).
Une montaison longue, sous des conditions fraîches et pluvieuses
Le début de montaison des blés s’accompagne du retour des pluies. En tendance, les apports d’azote à épi 1 cm ont été anticipés (par crainte d’un retour du sec en avril comme les années précédentes), et bien valorisés. Attention néanmoins à ne pas tomber dans une trop forte anticipation des apports, qui ne coïncideraient plus avec les besoins de la plante. Les conditions pluvieuses se maintiennent jusque début mai (≈ +50 % par rapport à la moyenne) (Figure n°1), associées à des températures fraîches. La montaison est donc longue, ce qui est gage d’une bonne montée à épis, d’autant plus que les sols ne sont pas du tout en situation de stress hydrique, quelle que soit leur profondeur. Et en effet, les densités épis sont proches de la moyenne voire légèrement supérieures à la moyenne en sols profonds, tandis qu’elles sont clairement au-dessus de la moyenne pluriannuelle en sols superficiels (Figure n°2).
Figure n°1 : Cartographie des cumuls de pluie sur la période 1er mars/15 mai
Figure n°2 : Densité épis sur le réseau régional ARVALIS
Qui dit pluies, dit forte nébulosité : les conditions de rayonnement sont en retrait de 15 % sur une partie de la montaison, puis les conditions plus ensoleillées font leur retour à partir de la première décade de mai. Notons que la période du 9 mai est marquée par un niveau de rayonnement très bas (inférieur à 200 cal/m²) et également des températures fraîches. Cet à-coup intervient autour de la méïose de certaines parcelles, et peut expliquer des fertilités très décevantes (pour rappel, la méïose est un processus cellulaire qui requiert beaucoup d’énergie, un déficit de rayonnement et de température peut donc avoir un impact).
Le nombre de grains par épi (= fertilité) suit la tendance pluriannuelle (Figure n°3), même si des sites peuvent décrocher. Ramené au m², le nombre de grains est correct (+3 à 5 % selon les secteurs), grâce aux densités épis supérieures à la moyenne, que ce soit en sols de craie ou en barrois (Figure n°4).
Figure n°3 : Nombre de grains/épi sur le réseau régional ARVALIS
Figure n°4 : Nombre de grains/m² sur le réseau régional ARVALIS
L’épiaison a lieu autour du 25 mai, soit quelques jours après la date d’épiaison moyenne pluriannuelle. La floraison intervient sous des conditions climatiques sèches et ensoleillées, avec un risque fusarioses des épis très faible voire nul. Il convient néanmoins de noter que la pluviométrie du printemps a été propice au développement des maladies, notamment septoriose, et plus tardivement de la rouille brune, à la faveur d’une hausse significative des températures.
Un remplissage des grains contraint dès la première phase
Le début de remplissage des blés intervient à partir de début juin, date de floraison des blés.
Il est important de noter pour la suite des explications quelques repères clés de la fin de cycle (dates issues de l’observatoire ARVALIS 2023) : la floraison début juin marque le début de la première phase de remplissage jusque « grain laiteux » autour du 20 juin, la seconde phase de remplissage se terminant au stade « grain pâteux » autour du 30 juin.
Ainsi, les plantes ont connu un revirement de climat relativement brutal autour de mi-mai, en passant d’un régime frais et humide à un régime ensoleillé et chaud, avec faible temps d’acclimatation.
Les blés entament donc leur première phase de remplissage sous des températures maximales constamment supérieures à 25°C (à noter que les blés, sans connaître de températures échaudantes supérieures à 30°C comme les années précédentes, ont cumulé près de 30 jours durant lesquels la température maximale était supérieure à 25°C, accompagnés de vent) (figure n°5). La biomasse étant importante, ces conditions cumulées engendrent une demande évaporative importante (ETP - évapotranspiration), et in fine, une entrée en stress hydrique rapide et brutale dès fin mai en sols profonds et dix jours plus tôt en sols superficiels.
Figure n°5 : Cumul de températures supérieures à 25°C entre floraison et maturité des blés
De manière historique, le territoire Champagne-Ardenne rencontre des ETP proches de 4 mm par jour durant la phase de remplissage. En 2023, les ETP sont supérieures à ces valeurs, et sont quasiment constamment entre 5 et 6 mm/jour (la note de 7 marquant un seuil critique et un arrêt potentiel du fonctionnement de la plante).
Les cartes (figure n°6) permettent de visualiser le nombre de jours durant lesquels l’ETP était strictement supérieure à cinq sur la première phase de remplissage (scindée en deux) et la seconde phase de remplissage. Ainsi, sur vingt jours que compte la première phase, près de quinze affichent des ETP supérieures à 5. Pour rappel, la phase la plus sensible du remplissage se situe entre floraison et mi-chemin entre grain laiteux et grain pâteux. Ainsi, 90 % de la phase de remplissage des blés sur notre secteur a lieu sous conditions climatiques non optimales.
Figure n°6 : Nombre de jours avec des ETP supérieures à 5 mm selon les différentes phases du remplissage des blés
Les ETP élevées impliquant un stress hydrique au sein de la plante, on comprend que le remplissage soit impacté dès le départ (Figure n°7). Des sites peuvent parfois décrocher très fortement : c’est le cas de nos essais en sols superficiels, qui ont cumulé un nombre élevé de grains à remplir, de fortes ETP et un déficit hydrique.
Figure n°7 : Nombre de jours avec des ETP supérieures à 5mm selon les différentes phases du remplissage des blés
Ce facteur ETP n’explique certes pas à lui seul des rendements décevants de l’ordre de -15 q/ha, il ne faut pas négliger le complexe pathologique de l’année (viroses, maladies de pieds, maladie du feuillage).
Dans les essais ARVALIS craie et barrois, les rendements oscillent entre 70 et 95 q/ha. Au sein du territoire, on enregistre des déceptions sur des terres dites profondes à potentiel et des bonnes surprises sur des terres superficielles, grâce aux composantes de début de cycle.
Au global, les rendements sont tout de même centrés sur la moyenne voire légèrement au-dessus, mais déçoivent compte tenu du potentiel élevé durant le printemps. Compte tenu des conditions de remplissage difficiles, nous pouvons oser dire que les blés ne s’en sortent pas si mal (Figure n°8).
Figure n°8 : Rendements des blés sur le réseau régional « physiologie » ARVALIS
Côté qualité, les teneurs en protéines de l’observatoire ARVALIS sont comprises entre 10,5 et 12 % (bonne valorisation des apports d’azote) (Figure n°9). Les poids spécifiques sont dans l’ensemble en retrait, avec des valeurs régulièrement en dessous du seuil de 76 kg/hl.
Figure n°9 : Teneurs en protéines des blés sur le réseau régional « physiologie » ARVALIS
Figure n°10 : Bilan des composantes et qualité des blés en Champagne-Ardenne, récolte 2023
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