Céréales : raisonner les stratégies d’apports d’azote selon les dates de semis
Dans la plaine, les situations sont très hétérogènes, suite aux importants excès d’eau, avec des semis échelonnés de mi-octobre à mi-janvier et des cumuls de pluies variables. Ce qui nécessite d’adapter les premiers apports d’azote. Globalement, de faibles reliquats sont attendus
Des reliquats attendus faibles pour cette campagne
Les cartes 1 et 2 illustrent les précipitations au sein de la région depuis le 20 octobre, avec une séparation Nord-Est - autour de 300 mm - et l’Ouest - à plus de 500 voire 600 mm -. Les écarts par rapport à la médiane 20 ans peuvent être importants dans certains secteurs ; avec plus de 150 à 180 mm dans l’Ouest par rapport à d’habitude.
Carte 1 : Somme de précipitations du 20 octobre 2023 au 20 janvier 2024
Carte 2 : Ecart de précipitations par rapport à la médiane (2000 – 2023)
En attendant les résultats des mesures de reliquats, on envisage toutefois des niveaux faibles à très faibles. D’autant plus que cette année, le système racinaire est parfois pénalisé par des asphyxies temporaires liées aux excès d’eau, ralentissant son développement. L’azote présent au-delà de 60 cm sera, dans les cas d’hydromorphie, difficilement accessible par les plantes à court terme.
Figure 1 : Simulation de l’évolution du stock d’azote dans le sol (0-60 cm) sur les 20 dernières années
Sol de limon sur schiste tendre, précédent maïs, reliquat de 60 kg N/ha début août, semis du blé au 15 novembre, modèle CHN-ARVALIS.
Le modèle interne CHN d’ARVALIS permet de simuler les flux d’eau, d’azote et de carbone dans la plante et le sol. Voici l’exemple d’un cas-type d’un sol de limon sur schiste tendre à Ploërmel (56), avec un semis d’un blé au 15 novembre en prenant un reliquat au 1er août de 60 kg N/ha. On peut observer le comportement de l’année 2024 sur le stock d’azote entre 0 et 60 cm par rapport aux vingt dernières années sur la période automne-hiver. Habituellement, les stocks se maintiennent jusque fin novembre pour diminuer progressivement courant d’hiver. Les pluies fortes et intenses de fin octobre-début décembre 2023 ont fait chuter les stocks azotés, en lien avec de l’azote percolé dans les horizons plus profonds.
Un petit apport tallage à adapter aux différentes situations ?
La stratégie générale sur le premier apport d’azote est de limiter les carences de début de cycle pour maintenir un optimum de talles/m², afin d’obtenir en fin de montaison un nombre d’épis/m² suffisant. A l’inverse, avoir trop de talles/m² au démarrage n’est pas intéressant (risque de verse, maladies, talles secondaires maintenus, mais qui vont régresser plus tardivement…). Toutefois, cette année, les peuplements, la capacité de tallage et l’enracinement peuvent être réduits, incitant à apporter un premier apport afin d’éviter des carences de début de cycle. Ces carences pouvant être dommageables à la capacité de compensation des céréales.
Semis avant 25 octobre : pas d’urgence à apporter maintenant
Les parcelles ayant pu être semées courant octobre ont bénéficié d’une période plus longue pour s’implanter et taller correctement. L’enracinement sera potentiellement correct, mis à part les zones régulièrement saturées en eau, avec un tallage suffisant. Dans ces situations, l’apport tallage peut attendre fin février et devra être fait avec un apport modéré (< 40-50 kg N/ha). Un apport trop précoce risque de ne pas être correctement valorisé par la culture (CAU faible courant tallage) et générer des risques supplémentaires de verse, pression maladies… La stratégie étant d’apporter un premier apport deux à trois semaines avant épi 1 cm. Les bandes double densité aident également à positionner le premier apport.
Semis tardifs : faire un petit apport après avoir désherbé
La plupart des semis ont été réalisés en novembre et décembre, avec bien souvent des sols saturés en eau pendant les premières phases de croissance des plantes. Au-delà du peuplement qui parfois peut-être limitant, on peut s’attendre à un moindre tallage des céréales. Les conditions anaérobiques liées aux excès d’eau ralentissent le métabolisme des céréales et impactent la capacité de développement racinaire et d’extraction de l’azote en profondeur. Dans ces situations, un apport tallage se justifie (30-40 kg N/ha), mais inutile de majorer la dose (« blinder au tallage ») sous l’excuse que la culture est mal implantée. Au contraire, il faut accompagner la culture avec des apports modérés pour éviter qu’une part de l’azote se retrouve dans des horizons inaccessibles aux racines. Ne pas se fier aux dates calendaires pour réaliser les apports, au vu des semis échelonnés : même au sein d’un exploitation, il est important de suivre le stade de ses cultures et ne pas se fier aux dates calendaires habituelles. Pour les semis tardifs, apporter un premier apport à partir du moment où la culture à 1 ou 2 talles et les conditions climatiques sont réunis (températures, pluies dans les 10-15 jours, sol portant...)
Désherber puis fertiliser
Avant de penser à faire un premier apport d’azote, il est impératif de désherber si nécessaire avant ou juste après l’apport d’azote. Dans le cas contraire, cela peut bénéficier aux adventices en améliorant leur état de nutrition pénalisant l’efficacité de désherbage. En tout état de cause, il ne faut pas laisser plus de deux semaines entre les deux opérations, surtout si aucun désherbage n'a été réalisé à l'automne.
Ré-estimer le potentiel si nécessaire, piloter, biberonner
Dans les parcelles problématiques où le potentiel de rendement est d’ores et déjà entamé (semis tardifs avec un faible peuplement en conditions d’asphyxie racinaire fréquent), il faudra ré-estimer la dose totale prévisionnelle pour éviter d’apporter trop d’azote qui ne sera pas valorisé.
Toutefois, dans beaucoup de cas intermédiaires, le maintien ou la forte diminution du potentiel va dépendre de la météo du printemps impossible à prévoir : des excès d’eau en février, un mois de mars-avril sec ainsi qu’une fin de cycle séchantes seraient les plus pénalisants. Dans ces situations, il est important de piloter le dernier apport avec les OAD, en réservant 40 kg N/ha. Si le potentiel est trop entamé, ce dernier apport pourra être supprimé. La plus grosse erreur sera de faire des gros apports à tallage et tout solder à épi 1 cm en un apport ! Le risque étant que la culture ne puisse pas valoriser tout l’azote du fait de son système racinaire défaillant.
Dans ce contexte d’incertitude sur le potentiel de rendement et la météo du printemps, la stratégie la plus sécurisante reste de biberonner en apportant de l’azote régulièrement.
Gérer les hétérogénéités inter-parcellaires
Toutefois, au vu de l’hétérogénéité des semis au sein des exploitations, il parait difficile d’adapter les apports aux stades sans démultiplier les passages selon les différentes dates de semis. Prenons un exemple d’une exploitation avec des parcelles semées avec la variété Chevignon le 23 octobre, 7 novembre et 1er décembre avec des dates de stades prévisionnelles différentes. Un compromis serait d’adopter une stratégie générale en quatre passages pour toute l’exploitation :
- Un apport au tallage sans excéder 40 kg N/ha, trois semaines avant épi 1 cm de la parcelle la plus précoce. Cela permet d’alimenter les parcelles tardives plus rapidement.
- Scinder l’apport épi 1 cm en deux pour encadrer le stade épi 1 cm de toutes les parcelles :
- Un premier apport au moment du stade épi 1 cm de la parcelle la plus précoce ;
- Le solde (second apport) juste après le stade épi 1 cm de la parcelle la plus tardive
- Un dernier apport fin montaison qui sera réajusté suivant le déroulement de la montaison (suppression si rendement impacté, maintien voire augmentation si l’année est favorable).
Figure 2 : Exemple de compromis entre nombre de passages et ajustement de la fertilisation azotée aux différentes parcelles (variété : Chevignon, station météo : Ploërmel)
Cas du soufre : vigilance sur les parcelles sans apports organiques
Le soufre est aussi mobile dans l’eau que l’azote, et donc sensible à la lixiviation. Habituellement dans notre région, les apports de produits organiques (fumiers, lisiers) fournissent les éléments nécessaires aux plantes, quelles que soient les conditions de l’année. Néanmoins, dans les parcelles sans apports de produits organiques, il faudra être vigilant.
Tableau 1 : Grille de préconisations de dose en soufre sur blé tendre par type de sol - ARVALIS
Objectif de rendement : 70 q/ha – 100 q/ha
Valeurs sans parenthèses : Sans apports réguliers de PRO
Valeurs entre parenthèses : Avec apports réguliers de fumiers et composts (> 1 an sur 3)
Les apports de phosphore en sortie d’hiver ne sont pas pertinents pour espérer rattraper un mauvais enracinement. Les essais ont montré une réponse uniquement dans les sols pauvres en phosphore, avec un niveau moins important comparativement à un apport au semis. En Bretagne, les teneurs restent importantes, notamment pour des céréales peu exigeantes en phosphore. Le phosphore est également peu mobile dans le sol, par conséquent faiblement influencé par les cumuls de précipitations présents.
- Apport au tallage nécessaire en raison de reliquats très probablement faibles, du mauvais enracinement (azote en profondeur peu disponible), du moindre tallage dans les parcelles saturées en eau.
- Faire un premier apport avec une dose modérée (30-40 kg N/ha). De gros apports (> 40-50 kg N/ha) seront pénalisants dans la suite du cycle.
- Désherber puis fertiliser.
- Ne pas se fier aux dates habituelles d’apport mais raisonner en terme de stades de cultures.
- Commencer à réfléchir aux prochains apports selon l’hétérogénéité de stades des cultures au sein de l’exploitation. Objectif : biberonner les cultures, apports plus fréquents (minimum trois apports).
- Vigilance sur le soufre dans les parcelles sans apports organiques depuis 2-3 ans.
- Pas d’intérêt à apporter du phosphore dans les parcelles bien pourvues.
Réagissez !
Merci de vous connecter pour commenter cet article.