Semis tardif ou resemis de céréales : comment prendre la bonne décision ?
Les conditions d’implantation de l’automne et les excès d’eau de ces trois derniers mois ont fortement affecté les levées et l’installation des céréales à paille. Des manques de plantes vont apparaître dans de nombreuses parcelles, et la mise en place d’un temps froid et sec va inciter les agriculteurs à tenter des semis. Voici quelques pistes de réflexion pour objectiver les resemis.
Si les cumuls de précipitation sont presque partout à des niveaux que l’on n’observe qu’une année sur dix, l’excès n’est pas forcément identique partout. Le grand Bassin Parisien est ainsi relativement moins arrosé que l’extrême Nord, la Bretagne, le Centre-Ouest et le Centre-Est.
Carte 1 : Fréquence de dépassement du cumul de pluies enregistré entre le 1er octobre 2023 et le 10 janvier 2024 par rapport aux 20 dernières années (données Météo-France)
Carte 2 : Cumul de pluies enregistré entre le 1er octobre 2023 et le 10 janvier 2024 (données Météo-France)
Si la semaine de Noël a été plus sèche et favorable à l’évacuation des excès d’eau, les pluies de la semaine dernière ont à nouveau saturé les sols.
Des températures douces qui bénéficient aux parcelles saines
En parallèle, la fin de 2023 a été à l’image du reste de l’année : plus chaude que la normale. On retrouve des cumuls de température proches de l’automne 2022, c’est-à-dire une douceur qu’on ne rencontrait qu’une année sur dix environ au cours de la période 2003-2022.
Carte 4 : Fréquence de dépassement du cumul de températures entre le 1er octobre 2023 et le 10 janvier 2024 par rapport aux 20 dernières années (données Météo-France)
Evidemment, cette douceur permet aux plantes de lever et de taller rapidement si l’excès d’eau n’est pas trop pénalisant. Ainsi, on va observer de grandes hétérogénéités entre parcelles, voire à l’intérieur des parcelles : de bons états de croissance sur les parcelles saines et semées tôt, et des cultures à peine levées ou mal tallées dans les situations engorgées en eau.
Orge de printemps semée en automne. Villiers-le-Bâcle (91), semis d’octobre (photo du 13/12/2023, V. Bontems).
Des gelées peu dommageables aux cultures, mais favorables aux semis
L’arrivée du froid cette semaine doit être surveillée sans être dramatisée. Les températures annoncées ne sont pas exceptionnellement froides, mais elles arrivent brutalement (endurcissement faible ou incomplet), sur des sols gorgés en eau et sur certaines parcelles peu développées. Heureusement, les zones les plus froides ne sont pas forcément les zones où les situations agronomiques à risque (blé dur, orge de printemps semées en automne) sont fréquentes. Les parcelles en cours de levée et dont les sols sont encore gorgés en eau pourraient subir des effets de gel mécanique.
Lire aussi : « Comment réagissent les céréales face au gel ? »
Carte 5 : Prévisions de températures minimales sous abri du 8 au 14 janvier 2024
L’arrêt des pluies va permettre de laisser les sols drainer, et le gel va fournir une portance appréciable pour labourer ou semer. On peut donc s’attendre à voir des tracteurs cette semaine.
Resemis, sursemis, en « rustine » ou en plein… que faire ?
La question des seuils de resemis des céréales à paille est très délicate, et dépend de nombreux paramètres. Il est important de ne pas se précipiter pour bien pondérer les options.
Dans les zones où l’excès d’eau s’est maintenu plusieurs jours ou semaines (mouillères, bords de parcelles), il est probable que l’ensemble des plantes ait disparu. Dans ce cas, un resemis « en rustine » peut s’imposer. Dans l’idéal pour faciliter la conduite des parcelles, on peut repartir des semences disponibles sur la ferme, tant que les variétés et les espèces respectent les seuils d’alternativité recommandés (tableau 1). Le décalage de cycle va progressivement se réduire pendant le printemps, pour aboutir à moins de deux semaines d’écart à la moisson.
Dans les parcelles affectées par un engorgement en eau durable et/ou l’apparition d’une croute de battance, le taux de levée peut avoir été forcément abaissé. Dans ce cas, un comptage est nécessaire. On considère de manière un peu empirique que 60 à 100 plantes bien réparties constituent un seuil de maintien : ça n’assure évidemment pas l’atteinte d’un rendement maximum, mais ça permet de couvrir les coûts déjà engagés. Ce seuil est cependant à moduler en fonction du contexte de chaque parcelle :
- Si la parcelle est irrigable, il peut être pertinent de refaire la culture avec un blé dur, une orge de printemps ou un maïs. A l’inverse, si la parcelle est séchante, s’engager vers une culture de printemps ou d’été est risqué.
- Si la structure du sol a été dégradée lors de l’implantation, les capacités de rattrapage seront limitées.
- Si la parcelle est enherbée et sera difficile à nettoyer, ou, à l’inverse, si un herbicide a déjà été appliqué et pourrait poser problème en cas de changement d’espèce.
En cas de très faible densité, le sursemis est possible (avec du matériel adapté), mais la gestion de plantes d’âges différents sur la parcelle risque de complexifier fortement l’accompagnement de la culture.
En cas de resemis, le choix de la culture et de l’espèce conditionne notamment la garantie d’avoir des épis et des grains. Pour cela, il faut se référer à l’alternativité des variétés (indiquée dans les documents techniques d’ARVALIS).
Tableau 1 : Recommandations ARVALIS d’alternativité et de précocité des variétés de céréales à paille en cas de semis très tardifs.
Ces recommandations doivent permettre d’assurer une montée à épi, sauf si scénario climatique très extrême. Elles ne garantissent évidemment pas d’un potentiel de rendement équivalent à un semis d’automne. Un différentiel de rendement de 20 à 30 % est probable, mais l’itinéraire de la culture doit être adapté et peut notamment permettre quelques économies : moindres coûts de désherbage, moindre pression potentielle de maladies.
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