Nutrition des céréales : ne surtout pas solder l’azote trop tôt !
La campagne céréales 2023/2024 est marquée par une forte hétérogénéité des situations en termes de dates de semis, de stades, de parcelles hydromorphes ou non… Dans ce contexte, il est nécessaire d’évaluer précisément les besoins de ses parcelles et de positionner l’apport au bon moment.
La situation climatique…
Des cumuls de précipitation et de températures rarement ou jamais vus
Les cumuls de températures mesurés depuis début 2024, et plus globalement depuis l’automne 2023, sont largement excédentaires, et constituent des records par rapport aux références historiques. L’exception est un peu moins vraie pour le critère de la pluviométrie : il s’agit ici de la 3e année la plus pluvieuse depuis vingt ans. A l’instar d’Evreux, ces tendances sont les mêmes pour toute la Normandie (figure 1).
Figure 1 : Cumul de pluie et de températures du 1er octobre au 13 avril sur la station Evreux Huest (27) pour la période 2004-2024
Un rayonnement déficitaire
Autre caractéristique forte de cette campagne : la couverture nuageuse qui persiste depuis la sortie de l’hiver. Avec un rayonnement déficitaire de -10 à-20 % par rapport à la moyenne des vingt dernières années.
Carte 1 : Rayonnement début montaison – phase épi 1 cm – dernière feuille pointante – écart à la moyenne pluriannuelle
…Et les conséquences sur le développement des céréales
Hétérogénéité des stades
Tout le monde l’aura remarqué, l’échelonnement des semis aura provoqué un étalement des stades inédit cette année. Certaines parcelles atteignent seulement le stade épi 1 cm cette semaine, alors que les plus précoces vont arriver au stade dernière feuille pointante (cf BSV du 17/04/2024). Au global, la température aura permis une précocification des stades de 10-15 jours selon les situations, et qui devrait se répercuter jusqu’à la récolte si les températures persistent. Comme dit il y a maintenant quelques mois, les semis précoces galopent et les semis tardifs rattrapent leur retard. A noter cependant que certaines parcelles « patinent » un peu plus, dans des sols très refermés et engorgés en eau (cas de certains semis de novembre notamment : le plus souvent faits à la hâte et dans des conditions à peine ressuyées entre deux épisodes de pluie).
→ Pour que les interventions soient effectuées au bon stade, il faut plus que jamais raisonner à la parcelle, et non par date calendaire.
Une montée à épi excédentaire ?
Pendant le tallage, la culture produit le plus souvent un nombre (très) excédentaire de talles, dont une partie régressera pendant la phase de montaison. Des conditions raisonnablement arrosées permettent de limiter le stress hydrique et le possible stress azoté associé, et donc, de garantir un taux élevé de montée à épi des talles. Ce phénomène est d’autant plus favorisé dans le cas des apports précoces d’azote. Cependant, on observe le plus souvent une corrélation assez lâche entre la densité d’épis et le rendement final. Trop d’épis se concurrencent généralement pour la lumière, ce qui aboutit à moins de grains par épi.
Des doutes sur l’enracinement des céréales
La phase de tallage est marquée - lorsque les conditions de croissance le permettent - par une exploration rapide du fond de profil par quelques racines pionnières, qui se ramifient courant montaison pour exploiter les ressources en eau et en nutriments. L’excès d’eau empêche ou ralentit cette densification racinaire, ce qui expose la plante à des stress hydriques brutaux en cas de conditions climatiques soudainement chaudes et sèches.
Avec les précipitations continues, l’hypoxie des racines se prolonge alors qu’habituellement les teneurs en eau du sol baissent fortement à cette période de l’année. Il est donc probable que la nutrition des plantes soit affectée par le manque d’oxygénation. Les ressources en eau et en azote étant excédentaires aujourd’hui (bonne valorisation des apports), les couverts ne révèlent pas de soucis en ce moment, mais les doutes sont bien présents pour la suite du cycle.
Etat de la fertilité des épis
Pendant la montaison, différents organes sont en croissance (derniers étages foliaires, système racinaire, tiges, épi) et sont donc en concurrence pour l’utilisation des photosynthétats produits de manière quotidienne. Avec les faibles rayonnements subis depuis le début de la montaison, la croissance de ces organes est restreinte, notamment celle de l’épi qui portera au final moins de fleurs fertiles. Les conditions météorologiques de cette année conduisent à une double peine en terme de rayonnement :
- d’une part, la nébulosité persistante réduit le rayonnement arrivant aux plantes ;
- d’autre part, la forte précocité de l’année décale la montaison de près de deux semaines vers des jours plus courts.
→ Il va falloir accompagner les cultures jusqu’au bout de la montaison.
Comment gérer les apports d’azote ?
Ce contexte risque de conduire à des besoins élevés en azote en fin de cycle : pour accompagner les fortes biomasses ou pour compenser les mauvais CAU (Coefficient d’utilisation de l’azote) de l’engrais (= mauvaise absorption par les racines).
La période de sortie de la dernière feuille est particulièrement pertinente pour piloter la fertilisation azotée. En effet, le pilotage au travers de différents outils (pince N-Tester, Farmstar, MesSatimages…) permet d’ajuster la dose moyenne d’azote du dernier apport à la hausse ou à la baisse par rapport à la mise en réserve prévisionnelle, selon le besoin de la plante pour cette campagne.
Autrement dit, vouloir solder tout l’azote à 2 nœuds sans avoir diagnostiqué le besoin de la plante avec des outils de pilotage peut être préjudiciable cette année en RENDEMENT et PROTEINES (risque de sous fertilisation sur les parcelles à potentiel et d’excès d’azote pour les parcelles impactées par l’hydromorphie à plus faible potentiel). D’autant plus que la météo n’est pas favorable à la valorisation de l’azote dans les prochains jours.
Prendre le temps de diagnostiquer le besoin de la parcelle entre 2 nœuds et dernière feuille pointante pour ajuster la dose et attendre dernière feuille pointante-étalée pour solder son azote sera plus que jamais la bonne option cette année.
Soufre : des carences apparaissent
De nombreuses carences en soufre (S) apparaissent dans la plaine. Pas étonnant au vu des conditions météorologiques, mais cela peut aussi traduire une mauvaise assimilation par les racines des éléments N et S. Nous savons aussi que les apports d'azote précoces et élevés accentuent le risque de carence en soufre.
À la suite d’un diagnostic en cours de végétation, il est recommandé d’apporter une correction dès que possible de 40 kg SO3/ha au sol ou en pulvérisation foliaire de solution à 10 % de sulfate d’ammonium. Cependant, après le stade 2 nœuds, les bénéfices en seront largement limités.
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