Ce mois-ci dans Perspectives Agricoles : la modélisation remplacera-t-elle les experts ?
Alors que les algorithmes font l’objet de multiples applications dans tous les domaines d’activité, Emmanuelle Gourdain, spécialiste en modélisation chez ARVALIS, revient sur l’intérêt de l’utilisation des modèles mathématiques en agriculture.
Perspectives Agricoles : Pourquoi les chercheurs utilisent-ils des modèles ?
Emmanuelle Gourdain : En agriculture, les modèles peuvent aider à comprendre les phénomènes biologiques. Pour cela, on utilise des modèles mécanistes qui décrivent les processus étape par étape, à l’aide d’équations mathématiques. Ils reposent sur des connaissances acquises ou des hypothèses qui pourront ensuite être vérifiées. Des expérimentations complètent le travail d’élaboration des modèles et servent à tester leur bon fonctionnement.
Ce type de modèle est utile pour effectuer des simulations en changeant différents paramètres (variétés, nutrition, météo…) et en évaluer les effets. Ils permettent de mieux comprendre ce qui se passe, par exemple lors de l’analyse d’un bilan de campagne.
Un modèle est une représentation simplifiée de la réalité dans une situation donnée. Il comporte une part d’incertitude qu’il faut connaître - et chercher à réduire - et n’est valable qu’en respectant les conditions dans lesquelles il a été validé.
P.A. : Comment les modèles servent-ils à construire des prévisions ?
E.G. : Il est possible d’utiliser les modèles mécanistes pour réaliser des projections. Certains outils d’aide à la décision reposent sur ce principe. D’autres modèles utilisent des approches statistiques ou font appel à l’intelligence artificielle, comme l’apprentissage automatique, ou « machine learning ». Ils connaissent actuellement des développements importants grâce à la puissance de calcul des ordinateurs, à l’accès à de grands volumes de données et à la démocratisation des logiciels statistiques. Ce type de modèle cherche à prédire au mieux les phénomènes mais on ne sait pas identifier avec certitude des liens de causalité. L’utilisation de ces modèles pour comprendre directement des phénomènes biologiques, caractérisés par de très nombreuses variables et des interactions entre elles, n’est pas envisageable à ce jour. Agronomes, statisticiens et modélisateurs travaillent sur ce sujet.
P.A. : Les modèles vont-ils modifier les pratiques agricoles ?
E.G. : L’interprétation des résultats des modèles doit se faire avec beaucoup de prudence en raison de l’incertitude associée aux résultats. Pour en limiter les effets, ARVALIS a une approche très pragmatique, d’une part en cherchant à combiner les modèles, d’autre part en y associant les connaissances acquises par des experts. Une autre voie de recherche est d’intégrer des données provenant de capteurs au champ pour gagner en précision.
Les modèles ne remplaceront pas l’expertise ; ils donnent des pistes de travail et peuvent orienter les recherches. Ils servent à créer des outils d’analyse stratégique pour comparer des itinéraires techniques ou encore des systèmes de culture. ARVALIS a ainsi engagé des travaux sur l’évolution des maladies selon divers scénarios de changement climatique, en fonction des pratiques culturales et des caractéristiques des variétés. Ces travaux sont intéressants pour orienter la sélection variétale et anticiper les choix des systèmes de culture à l’échelle des territoires ou des exploitations.
Pour le pilotage tactique des interventions en cours de campagne, les modèles permettent de se projeter dans le futur et de se poser des questions, tout en conservant un regard critique. Ce sont des informations qui s’ajoutent aux « tableaux de bord » des agriculteurs, des techniciens et des experts. Les modèles ne se substituent en aucun cas aux prises de décisions.
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